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l’armée prussienne se trouvât sur le territoire français[1]. C’est dans ces conditions, en effet, que la négociation devait être reprise par Bu mouriez, et c’est l’épisode le plus singulier de son étrange carrière.

Cependant son rôle de diplomate semblait terminé. Une crise analogue à celle qui l’avait élevé au pouvoir l’en précipita. Il se crut assez fort pour entrer en lutte avec le parti de la gironde qui l’avait fait ministre. Il soutint Louis XVI dans la résistance qu’il opposait à ses trois collègues Roland, Servan et Clavière. Ils furent renvoyés le 13 juin. Dumouriez prit le portefeuille de la guerre et appela Naillac aux affaires étrangères. Mais, pour s’être rendu suspect aux révolutionnaires, il n’avait nullement gagné la confiance des royalistes. La cour, qui s’était servie de lui pour éloigner Roland, ne tenait point à le conserver. L’assemblée le reçut en conspirateur, la cour continua de le traiter en intrigant ; l’assemblée accueillit ses déclarations par des murmures, le roi refusa de suivre ses conseils. Le 15 juin, il donna sa démission, et le 19 il annonça à l’assemblée qu’il partait pour l’armée du Nord, où il avait un commandement. C’est là que la destinée lui réservait ses plus grandes surprises. L’aventurier allait, pour un instant, tourner au héros et son nom, qui n’éveillait jusque-là que les souvenirs de la diplomatie occulte et de l’intrigue, allait s’associer à deux dates immortelles de notre guerre d’indépendance : Valmy et Jemmapes. Mais quelques talens militaires que Dumouriez ait déployés dans les marches qui précédèrent la première de ces journées fameuses, quelque valeur qu’il ait montrée dans les combats de la seconde, le général d’armée ne se sépara jamais en lui du diplomate, et sa stratégie ne fut que la suite de ses négociations.


ALBERT SOREL.

  1. Sybel, Histoire de l’Europe pendant la révolution française.