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Dumouriez par un homme sûr, connaissant l’état des affaires et capable de l’exposer. Au moment où ils promettaient de respecter la neutralité de la Hollande et demandaient à l’Angleterre d’engager les Hollandais à s’abstenir, on enrégimentait à Paris des « patriotes bataves ; » on ne dissimulait point que la révolution qui se préparait en Belgique était destinée à gagner les Provinces-Unies. « Nous persistons à croire, écrivaient-ils, que si, au lieu de paraître approuver dans les pays étrangers les personnes qui allaient y semer des germes de soulèvement et de révolte, on avait hautement annoncé en France le plus grand respect pour les gouvernemens des autres pays et la résolution de ne rien permettre qui leur soit hostile, on aurait empêché plus facilement cette ligue menaçante qui s’est formée contre la révolution française d’acquérir aucune solidité[1]. »

C’était parler d’or, mais c’était méconnaître absolument le caractère et la force d’impulsion du mouvement révolutionnaire. Dumouriez se débattait dans un cercle vicieux. Il avait compté sur les négociations pour faciliter le succès de la guerre, et il arrivait que la déclaration de la guerre entravait toutes les négociations. Il avait espéré qu’une guerre limitée, brillante, suivie d’une paix glorieuse, relèverait le pouvoir et lui permettrait d’étouffer la démagogie ; l’impuissance du pouvoir livrait la France aux démagogues, et le triomphe de la démagogie transformait la guerre contre l’Autriche en une guerre européenne où la France, isolée devant une coalition redoutable, jouait ses destinées. Mais les événemens ne déconcertaient jamais Dumouriez. L’extrême mobilité de son esprit, qui l’exposait à tant de mécomptes, ne le laissait, en compensation, jamais à court d’expédiens. Il lui restait à employer le remède suprême de la vieille diplomatie dans les cas désespérés : il tâcha d’émouvoir le Turc et de provoquer une diversion en Orient. Il songea pour cette mission à Sémonville, qui, depuis sa mésaventure d’Alexandrie, était retourné à Gênes. Il lui écrivit, le 12 juin, de se préparer en toute hâte à partir pour Constantinople. Les instructions, qu’il lui fit dresser étaient fort étendues. Sémonville devait expliquer aux Turcs les raisons qui amenaient la France à changer de système. On avait eu naguère grand’peine à leur faire comprendre que, cessant de combattre l’Autriche, la France les engageait à vivre en paix avec sa nouvelle alliée ; il fallait leur montrer pourquoi on revenait aux anciennes traditions et les exciter à opérer, d’accord avec les Polonais et peut-être les Suédois, une diversion contre les coalisés. Sémonville annoncerait l’envoi d’une flotte dans l’Archipel, ferait entrevoir à la Porte « l’indépendance

  1. Rapport du 10 juillet 1792.