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fort modéré d’opinions, Audibert-Caille, qui aurait pour instructions d’apaiser le différend relatif à Sémonville et d’obtenir la neutralité de la Sardaigne. Les Sardes ne refusèrent ni n’acceptèrent ; ils firent attendre à Audibert ses passeports jusqu’au moment où ils se crurent en mesure de rompre ouvertement. Le 2 juillet, le comte Viretti, secrétaire du roi, à qui Audibert s’était adressé, lui répondit par un refus formel : « H était impossible, concluait-il, d’entrer en négociation avec un gouvernement fondé sur le sable, au moment où la France était au bord de l’abîme et touchait à sa destruction. »

C’était la même réponse qu’à Berlin. L’Espagne avait consenti à recevoir le ministre de France, Bourgoing, mais l’accueil, qui avait été plus que froid de la part du roi et de la reine, avait été injurieux de la part des courtisans. L’Espagne craignait de se mêler à la guerre, elle espérait que l’Autriche et la Prusse réussiraient à rétablir en France l’autorité royale, elle se ménageait et attendait. D’ailleurs l’Angleterre demeurant neutre, la prudence lui conseillait de s’abstenir. Cette neutralité de l’Angleterre commençait à revêtir une nuance assez marquée de malveillance et d’inquiétude. La cause en était dans les progrès de la propagande qui, prêchée violemment à Paris, s’organisait ouvertement sur la frontière de Belgique. Là encore, les événemens tournaient contre le calcul de Dumouriez. Il voulait provoquer un soulèvement national contre l’Autriche, c’était à une révolution démagogique que travaillaient les agens envoyés de Paris. Il se sentit débordé et commença de perdre son sang-froid. Il n’attendit point que les Anglais demandassent des explications, il prit les devans et leur en demanda. « Nous respecterons la Hollande si elle observe la neutralité, écrit-il, le 14 juin, à l’ambassade de Londres ; mais c’est de l’Angleterre même qu’il s’agit. Comment se conduira-t-elle si nous entrons en Belgique ? Elle parle des traités qu’elle a conclus, des alliés qu’elle entend faire respecter. Se considère-t-elle engagée par le traité d’Utrecht et la convention de La Haye de 1790 à garantir la Belgique à la maison d’Autriche ? » C’est un point à éclaircir « sans laisser la moindre équivoque. » Que fera-t-elle si la Hollande prend le parti des Autrichiens ? Considérera-t-elle que la France est l’agresseur et se croira-t-elle obligée à soutenir les Hollandais ? C’étaient de bien graves questions. Les envoyés français à Londres, — et l’on reconnaît ici le coup d’œil de Talleyrand, — jugèrent que, dans l’état des choses, il était intempestif de si bien préciser les termes. L’équivoque est une des ressources classiques de la diplomatie. Ils passèrent donc le 18 juin à lord Grenville une note pleine de réserves, dans les assurances offertes aussi bien que dans les questions posées. Puis la situation leur parut « tellement grave » qu’ils envoyèrent leur rapport à