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à empêcher la marche des Prussiens et à faire accéder la cour de Berlin à la même neutralité que le reste de l’empire, il y aura un million pour le duc des Deux-Ponts et deux cent mille livres pour celui ou celle qui aura fait réussir cette négociation. » Elle ne réussit pas. Aux ouvertures qui leur furent faites, les ministres prussiens répondirent, le 7 juin, que la Prusse ne se séparerait point de l’Autriche, et ils ajoutaient : « Il est impossible d’entrer en négociations quelconques avant que le pouvoir légal, le seul avec lequel on puisse traiter, soit rétabli en France avec l’autorité nécessaire pour que l’on puisse négocier avec lui. »

La négociation était manquée en Prusse. En Sardaigne, on n’avait même pas pu l’entamer. Le roi était tout ardeur pour la coalition. Il en attendait précisément le bénéfice que lui offrait la France, la Lombardie ; mais, au lieu de l’obtenir, malgré l’Autriche, en échange de la Savoie et de Nice, cédées aux Français, il espérait la recevoir des Autrichiens eux-mêmes, en compensation des conquêtes qu’il les aurait aidés à faire sur les Français. Il en était là lorsqu’il reçut l’avis que le gouvernement de Paris lui envoyait un ministre et avait désigné pour cette mission M. de Sémonville, alors ministre à Gênes. Au nom seul de l’envoyé, Victor-Amédée s’emporta : « Je ne le recevrai pas, s’écria-t-il ; je ne m’abaisserai pas à l’humiliation de voir dans mon royaume un jacobin de cette espèce. » Le fait est que, pour une cour qui tenait de si près à la famille royale et à l’émigration, le choix était au moins inconsidéré. « Actif, délié, intelligent, dit La Marck, fait pour l’intrigue, dans laquelle il se plaisait, indépendamment des avantages qu’elle pouvait lui rapporter, » Sémonville avait été l’un des adeptes les plus zélés et l’un des préparateurs les plus experts de la fameuse « pharmacie politique » de Mirabeau. Après la mort de son patron et ami le grand tribun, il s’était lancé dans la diplomatie et il y avait apporté les mêmes habitudes d’intrigue, les mêmes goûts d’agitation, les mêmes inclinations pour les moyens de police. Envoyé à Gênes, il passait pour travailler à révolutionner l’Italie, et les émigrés, auxquels il faisait une guerre acharnée, l’avaient depuis longtemps dénoncé à la cour de Turin. Sous prétexte que sa nomination n’avait pas été notifiée dans les formes, Victor-Amédée donna l’ordre au gouverneur d’Alexandrie de l’arrêter au passage et de lui refuser des passeports, ce qui fut fait le 19 avril. Dumouriez déclara, le 26, à la tribune qu’il exigerait une réparation éclatante. En réalité, il la réclama posément et traîna les choses en longueur. C’est qu’il espérait renouer avec Victor-Amédée et cherchait, par l’intermédiaire d’un Sarde établi à Paris, le baron Trichetti, à faire admettre un autre envoyé. Il proposait un ancien, consul général,