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communiquée au souverain auquel elle était adressée. Cette indiscrétion, écrivaient nos envoyés, est bien faite pour éloigner la confiance « d’un gouvernement dont les confidences remplissent les gazettes et qui notifie quand il paraît insinuer. » Pour corriger le fâcheux effet de cette impertinence, pour atténuer surtout les inquiétudes qui se répandaient autour d’eux, ils crurent devoir répudier solennellement les vues de propagande et de conquête[1]. Leurs déclarations péremptoires dépassaient singulièrement les données de leurs instructions. Talleyrand les jugeait nécessaires. « Comment, écrivait-il le 23 mai, pourrions-nous caractériser d’atteinte au droit des gens l’intervention de l’Autriche dans nos affaires, si nous ne nous interdisions scrupuleusement tout acte du même genre envers des puissances amies ou même neutres, surtout envers celles qui, comme l’Angleterre, ont constamment respecté les lois du bon voisinage sans prendre aucune part dans nos troubles intérieurs ? »

Il n’y avait point à espérer de révolution en Angleterre ; il importait de ne s’y point rendre suspect de propagande. La cour, le public même étaient prévenus contre nos envoyés. Ils avaient été reçus « très froidement à la cour et presque injurieusement par le public, » rapporte Dumont. Ils ne fréquentaient que les membres de l’opposition : Fox, Sheridan, fréquentations compromettantes de part et d’autre. La retenue extrême des ministres à leur égard ne tarda point à les inquiéter ; leurs sentimens et leur situation sont vivement décrits dans un rapport[2] où l’on reconnaît la main de Talleyrand. Sous prétexte d’exposer l’état des affaires, il insinue de sages conseils et de judicieuses critiques. Il explique qu’il n’y a rien à attendre de l’opposition parlementaire et qu’elle n’a rien de commun avec un parti de révolution. On la regarde « comme un expédient aussi nécessaire à la constitution que le ministère lui-même ; mais c’est là tout ; et, tant qu’on les voit aux prises l’un avec l’autre, on se croit sûr de la liberté. » Les réflexions discrètes de Talleyrand sur ce chapitre étaient suivies de propositions tout aussi raisonnables, tout aussi pratiques, mais dont le sommaire suffit à montrer à quelle impuissance se trouvait réduite l’ambassade. Il demandait qu’on s’abstint de menacer le ministère britannique, de l’injurier, de cabaler contre lui, qu’on évitât dans les journaux de présenter comme une victoire de la liberté toute agitation qui éclatait en Angleterre, car c’était avec le ministère qu’il fallait négocier et traiter. Il suppliait qu’on ne lût

  1. Note du 12 mai à lord Grenville.
  2. 23 mai 1792.