Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Europe ; mais il se trompait sur l’état de la France, sur la nature de la révolution, sur ce caractère singulier qui allait joindre à l’enthousiasme patriotique les emportemens d’un fanatisme sectaire et transformer en un prosélytisme conquérant le premier élan de la défense nationale.


III

Dumouriez trouva devant lui, concourant à entraver sa politique, la propagande révolutionnaire, la diplomatie secrète de la cour, les intrigues de l’émigration. La trame était trop subtile ; elle ne pouvait résister à ce triple engrenage. En même temps que le courrier du ministère, un agent de la cour, Goguelat, partait pour Vienne[1]. Il y était le 30 mars. Il exposa la nécessité où était le roi de s’abandonner en apparence au parti de la révolution, l’imminence de la guerre que l’on ferait « en passant le Rhin et en attaquant la Sardaigne, » l’urgence d’un secours, l’espoir que, devant l’intervention des puissances, un grand parti se rallierait autour de la royauté. La cour de Vienne était décidée à la guerre : les sommations de Dumouriez étaient faites pour précipiter ses résolutions. Un Habsbourg ne pouvait pas laisser à terre le gant que lui jetait cet aventurier : « Le roi de Hongrie est las de tout ce qui se passe en France, disait Thugut au baron de Breteuil, représentant secret de Louis XVI ; il est décidé à y mettre fin, il va faire marcher ses troupes de concert avec le roi de Prusse… S’ils n’attaquent pas, il est de même décidé à les attaquer[2]. » C’est le 17 avril que Thugut tenait ce langage. Trois jours après, le 20 avril, la France déclarait solennellement la guerre à la maison d’Autriche. C’était en réalité la guerre à la vieille Europe. « Guerre aux rois et paix aux nations ! » Un des plus fougueux coryphées de la révolution armée, Merlin (de Thionville), venait ainsi, en deux mots, de définir l’ère de combats qui commençait. Ce terrible cri de guerre bouleversait du premier coup toute la diplomatie de Dumouriez. Il avait préparé une entreprise toute politique ; c’était une croisade révolutionnaire que l’on prêchait. Il avait tout disposé en vue de cette guerre, et la direction lui en échappait dans l’instant même où elle était déclarée.

C’était sur Londres qu’il avait dirigé son principal effort ; ce fut à Londres qu’il put, dès les premiers jours, mesurer l’étendue des obstacles qui se dressaient de toutes parts autour de lui. La

  1. D’Arneth, Marie-Antoimtte, Joseph II und Léopoïd II. — Vivenot, Quellen, I.
  2. Fersen à Marie-Antoinette, 24 avril 1792. Journal de Fersen, 17 avril. Le Comte de Fersen et la cour de France.