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Américains qui leur disputeront l’empire. Les Français, pour se dédommager, garderont la Belgique, s’établiront sur le Rhin et, par le seul effet de leur voisinage, provoqueront une révolution en Hollande. La France ainsi affermie et agrandie, sera-t-ils indifférent pour l’Angleterre de l’avoir pour amie ou pour ennemie ? Le ministère anglais doit réfléchir « sur les efforts dont sera un jour capable la France régénérée dans ses finances et soumise dans toutes les parties de son administration au régime sévère de la liberté. » N’est-il pas expédient de commencer par où l’on devra finir ? de mettre un terme à ces rivalités odieuses qui séparent deux nations faites pour s’estimer et s’entendre ? « Calculez, devra dire Talleyrand, calculez la perte de l’alliance de la Hollande, l’ouverture de l’Escaut, et tout ce que vous aurez à craindre d’un surcroît de population de cinq à six millions d’hommes, et de la possession d’un pays riche et abondant. Vous seuls aurez porté atteinte à notre constitution, vous seuls nous aurez forcés d’étendre notre puissance en propageant notre esprit de liberté… Vous nous aurez rendus conquérans malgré nous, puisque nous serons obligés de garder ces belles provinces en nantissement de ce que vous nous aurez enlevé… Au lieu que si vous restez neutres, nous sommes sûrs de démembrer la ligue, nombreuse mais peu solide, de nos ennemis. Vous pouvez même nous aider à contenir le roi de Prusse et la Hollande. Dans ce cas, vous devenez nos bienfaiteurs et nos alliés naturels, nos rivalités cessent, et nous devenons conjointement les arbitres de la paix ou de la guerre dans l’univers. »

C’est l’alliance : Talleyrand la proposera formellement. Les alliés se garantiront toutes leurs possessions en Europe et dans les deux Indes. On s’entendra sur la politique continentale, on s’entendra sur la politique commerciale, on pourra même s’entendre en matière de colonies. Le Nouveau-Monde est assez étendu pour qu’on se le partage. Du mouriez découvre ici les plus vastes perspectives. Si l’Espagne se montre hostile, on examinera « si le moment ne serait pas venu de former entre la France et la Grande-Bretagne, en y joignant, s’il le faut, l’Amérique septentrionale, quelque grande combinaison qui ouvre à ces trois puissances le commerce des possessions espagnoles, tant dans la mer du Sud que dans l’Atlantique. » C’étaient là des bénéfices d’avenir ; dans le présent, la France se montrait disposée à confirmer le traité de commerce conclu en 1786. Dumouriez espérait que cette concession engagerait le gouvernement anglais à garantir un emprunt de 3 ou 4 millions sterling que le trésor français contracterait à Londres. S’il le fallait absolument, on irait encore plus loin. « Dans le cas où il serait nécessaire, pour obtenir la garantie du gouvernement britannique, que nous fissions