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droiture avaient échoué devant le parti-pris de la cour de Berlin, l’irritation qu’y causaient les événemens de Paris, les contre-lettres des agens secrets de Louis XVI, et les intrigues de l’émigration. Dumouriez savait cela, mais il se disait que la Prusse avait ses traditions, ses intérêts, ses nécessités historiques ; que la rivalité avec l’Autriche était le premier et le dernier mot de sa politique ; que si ces deux ennemies héréditaires se rapprochaient un instant, ce n’était que pour se mieux tromper l’une l’autre ; qu’elles ne pouvaient s’accorder que sur un malentendu et se concerter que sur une équivoque ; que leur alliance ne résisterait pas à l’épreuve d’une campagne ; qu’il y avait à Berlin, à la cour même, dans la chancellerie, dans l’armée, un parti de philosophes prussiens que leurs goûts portaient vers la France et que leurs passions éloignaient de l’Autriche ; que, tôt ou tard, ces causes rapprocheraient la Prusse de la France et la sépareraient de la coalition. Le temps devait infailliblement amener ce résultat, Dumouriez croyait possible de hâter l’œuvre du temps.

Depuis le départ de M. de Ségur, il n’y avait à Berlin qu’un chargé d’affaires, c’était François de Custine, le fils du général. Il avait du tact, de l’esprit, des connaissances étendues, une expérience précoce, l’ardeur de la jeunesse et tout l’enthousiasme du plus noble patriotisme. Dumouriez lui écrivit, le 18 mars, que le roi le nommait ministre plénipotentiaire, et lui envoya des lettres de créance, s’en remettant à lui de l’usage qu’il en conviendrait de faire. Custine ne devait point commencer ses négociations par une maladresse et ce serait la plus insigne de toutes que de s’exposer à être publiquement éconduit. L’important, c’était d’être écouté. Il devait protester des intentions de la France. Tout le mal, devait-il dire, vient « des menaces qui nous ont été faites, du rassemblement de nos émigrans, » en Allemagne, sur nos frontières. C’est ce qu’il faut faire cesser en s’expliquant loyalement : « Une guerre de la part de la Prusse contre la France serait contraire à tous les principes de la saine politique entre les deux puissances. Ce sont ces principes qui devraient diriger à l’avenir toutes les négociations entre le roi des Français et le roi de Prusse… Ces deux puissances doivent être alliées naturelles ; toute autre alliance, de part et d’autre, ne pourrait être qu’un système forcé, momentané, et ne pourrait procurer que des guerres continuelles. C’est ainsi que le concert actuel est une monstruosité en politique et ne peut produire qu’une guerre affreuse qui ruinera toutes les puissances belligérantes et dans laquelle, en cas de succès, la part de la Prusse est zéro. » — C’était plus que la paix, c’était l’entente et l’alliance que Custine proposerait à la Prusse : — « Si les Prussiens se montraient disposés, écrivait Dumouriez, je prendrai les ordres du roi pour vous autoriser à traiter franchement et promptement et à