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elle l’avait eu de tout temps, pour résultat inévitable d’amener les Anglais à prendre parti pour les Autrichiens. Dumouriez en attendait un effet tout contraire. C’est qu’il ne comptait pas annexer la Belgique. Il connaissait ce pays ; il savait que, sauf une minorité de démocrates, la grande majorité des habitans était plus hostile encore à la révolution française qu’à la domination autrichienne. Ils étaient prêts à acclamer les Français s’ils arrivaient en libérateurs, mais également prêts à se soulever contre la France si elle prétendait les « révolutionner. » Ils entendaient être libres à leur manière, ce qui est, au fond, la seule manière d’être libre. Dumouriez songeait donc à établir en Belgique, sous la protection plus ou moins avouée de la France, une république fédérative. Cette combinaison, la plus pratique, la plus naturelle, et peut-être la plus avantageuse pour la France, conciliait les principes qui interdisaient les conquêtes avec les intérêts qui commandaient d’affaiblir l’Autriche. Dumouriez pensait que l’Angleterre s’y résignerait pour éviter une annexion pure et simple de la Belgique et surtout une révolution en Hollande.

L’invasion de la Belgique était le fond de ses desseins. Il s’occupa d’y préparer l’insurrection. Il y avait des amis, il y envoya des agens, et, parmi eux, un jeune journaliste, appelé à fournir dans la politique une brillante carrière, et qui, selon la mode du temps, faisait ses premières armes dans la diplomatie secrète, Maret, le futur duc de Bassano. Dumouriez recommandait à ses envoyés de ne s’appuyer exclusivement sur aucun parti, car aucun n’était assez fort pour dominer les autres. Il fallait les animer tous et les unir s’il était possible : « Tâchez, écrivait-il à l’un de ses émissaires, qu’ils ne conservent de leurs affections actuelles que la haine contre la maison d’Autriche et un violent désir d’en secouer le joug. » C’était tout ce qu’il lui fallait alors, — ses vues pour l’avenir dépendant de la conduite que tiendrait l’Angleterre, il se réservait toutes les chances et ne s’engageait avec personne. L’agression préparée de la sorte, restait à déclarer la guerre. Au point où en étaient les choses entre Paris et Vienne, ce n’était plus qu’une affaire de temps. Le 27 mars, Dumouriez expédia son ultimatum à l’Autriche, et, ne doutant point que cette cour n’acceptât immédiatement le cartel, il tâcha de l’isoler.

Il comptait sur la Prusse. Il n’ignorait pas que Frédéric-Guillaume, circonvenu par les émigrés, entraîné par ses favoris, était tout à la guerre et s’armait bruyamment pour la croisade des rois. Sous le ministère précédent, De Lessart et Narbonne avaient fait leur possible pour l’en détourner. On lui avait dépêché l’un des plus séduisans, l’un des plus habiles, l’un des mieux renommés parmi les anciens diplomates, le comte de Ségur. Tout son art et toute sa