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intervention de l’armée. Pour cela, il fallait reconstituer cette armée même qui n’avait plus de discipline et qui avait perdu, par l’émigration, une partie de ses officiers. Une guerre en devait fournir le moyen. C’était le remède classique aux troubles intérieurs : une diversion au dehors qui éloignerait les turbulens, occuperait les esprits, et préparerait au pouvoir l’instrument dont il avait besoin pour se raffermir. Il fallait que cette guerre fût populaire et offrit des succès faciles : cela conduisait directement à attaquer l’Autriche. L’impopularité de Marie-Thérèse et de la guerre de sept ans avait naguère rejailli sur Marie-Antoinette ; l’impopularité de la reine s’ajoutait, maintenant à celle de l’alliance. L’Autriche d’ailleurs avait son point vulnérable. Les Pays-Bas étaient en révolte : une attaque de la France dans ces provinces serait soutenue par une insurrection nationale. On aurait l’honneur d’une guerre d’affranchissement, avec les avantages d’une guerre politique. Dumouriez, qui avait des amis parmi les hommes au pouvoir, se fit envoyer en Belgique, et alla étudier sur place son champ de manœuvres et de batailles.

A son retour, on lui donna le grade de maréchal-de-camp avec le commandement de Niort. Il s’y lia avec Gensonné, qui fut son introducteur parmi les girondins. Sa haine de l’Autriche lui tint lieu de principes républicains et lui servit de passeport auprès de Brissot. Il n’avait garde, en même temps, de négliger les liaisons qu’il s’était ménagées près de la cour. L’intendant de la liste civile, Laporte, le connaissait de longue date. Dumouriez lui persuada qu’il ne s’était jeté dans la révolution que pour sauver la monarchie. Lorsqu’au commencement de 1792, la politique de guerre triompha dans l’assemblée, que la cour elle-même ne vit plus d’autre moyen de salut, que le calcul du roi pour conserver sa couronne se rencontra en ce point avec celui des révolutionnaires pour la lui enlever, Dumouriez se trouva naturellement désigné pour le ministère. Il avait gagné la confiance des girondins, et, en même temps, en secret, il se déclarait disposé à servir le roi. C’est ainsi que, le 15 mars 1792, Louis XVI le nomma ministre des affaires étrangères. « Je vais travailler dans le grand, dans le très grand, » disait-il une vingtaine d’années auparavant à M. de Choiseul, qui l’envoyait en Pologne. Il avait attendu longtemps son heure, mais cette heure était venue. Si la guerre tournait mal et que dans la crise la royauté sombrât, il devenait l’homme nécessaire : on le faisait dictateur ; si la guerre tournait bien, et qu’il sauvât la monarchie, il devenait connétable. Il croyait jouer à coup sûr cette redoutable partie et l’entamait avec une imperturbable confiance dans sa fortune.

Il avait alors cinquante-trois ans : « Un petit corps râblé et nerveux ; figure commune, presque laide, physionomie agréable ; œil petit, mais vif et hardi, bouche grande, mais douce et riante,