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auraient permis une justification complète. C’est en tête-à-tête, à la vérité, et non dans un cabinet plein de monde qu’une explication de ce genre aurait pu avoir lieu avec utilité. Mais ce fut précisément cette faveur d’un entretien particulier qui fut refusée au maréchal de Noailles. Le roi, alléguant la faiblesse de tête et la difficulté de travail que lui avait laissées sa maladie, s’excusa de ne pouvoir l’entendre sur les faits passés, et, quant aux décisions à prendre, il le renvoya poliment soit au ministre de la guerre, soit au conseil, dont il faisait partie lui-même. Mais ce conseil, où il rencontrait ses rivaux et ses ennemis, comme Tencin et Maurepas, ne tenait plus que des séances courtes et irrégulières, l’état du roi servant encore ici de prétexte pour les abréger ou les renvoyer d’un jour à l’autre. En attendant, tout languissait, toutes les résolutions demeuraient en suspens. Le roi, qui était censé tout conduire, ne dirigeait plus rien, et toute la machine administrative et militaire semblait être, comme lui, atteinte de défaillance.

La situation était pourtant très pressante, car il fallait décider au plus tôt ce qu’on devrait faire pour réparer la faute commise, et si, afin de rejoindre le prince Charles (puisqu’on n’avait pu l’arrêter), on lancerait l’armée française à sa suite au-delà du Rhin. Frédéric ne cessait de demander une résolution prompte et hardie de cette nature, prétendant, non sans raison, qu’on la lui avait promise par le traité signé le 5 juin. Schmettau, excité chaque jour par une lettre nouvelle qui lui enjoignait de pousser à la roue, assiégeait les ministres d’insistances, de mémoires écrits ou de pressantes allocutions. « Mais il aurait plutôt, dit Frédéric dans ses Mémoires, transporté les montagnes que secoué l’engourdissement de cette nation. » Enfin, après plusieurs délibérations assez confuses, on s’arrêta à une demi-mesure ayant pour but d’éluder plutôt que de remplir les engagemens qu’on avait pris. On confia au comte de Clermont un petit corps de troupes qui dut rejoindre l’armée de Charles VII et, de concert avec les Bavarois, s’avancer en Allemagne afin de tendre la main à Frédéric. Quant au reste de l’armée française, on dut bien aussi lui faire passer le Rhin, mais au-dessus de Strasbourg, pour envahir ce qu’on appelait l’Autriche antérieure et mettre le siège devant Fribourg-en-Brisgau, chef-lieu de cette province. Schmettau eut beau représenter que Marie-Thérèse, tenant beaucoup plus à Prague qu’à Fribourg, ne détournerait pas un soldat de Bohême pour aller défendre ses possessions rhénanes, et que cette diversion prétendue serait sans aucune utilité pour son maître, il ne put rien obtenir de plus. On lui avait promis de porter la guerre en Allemagne, on lui tenait parole. Cette exécution littérale devait lui suffire et, sans l’écouter davantage, l’ordre fut envoyé au