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prendre et les fit monter avec sa nièce, Mme de Bellefond, dans un carrosse à ses armes et à sa livrée et dont les stores furent baissés avec soin ; elles passèrent ainsi sans être reconnues et vinrent se réfugier toutes tremblantes dans une maison de campagne des environs. C’était une demeure abandonnée et en mauvais état, où il n’y avait ni chaises pour s’asseoir ni lits pour se coucher. « Tâchez de nous en envoyer, écrivait par le retour du carrosse la duchesse à Richelieu, car je ne puis faire passer à ces dames la nuit blanche. Mandez-moi aussi des nouvelles du roi. Mais, au nom de Dieu, qu’on ne le tue pas, maintenant qu’il a fait ce qu’on voulait : que la tête ne tourne pas aux gens qui ont sa vie entre leurs mains. Ne vous affectez pas, je vous prie, de ce qui m’arrive. Pourvu que le roi vive, c’est tout ce qu’il me faut. J’espère que mes amis conserveront de l’amitié pour moi[1]. »

Ce n’était pourtant pas encore assez pour satisfaire les scrupules de l’austérité du prélat ; cette station si voisine de la ville, et qui semblait attendre ou permettre un prompt retour, ne lui parut pas rassurante. Dans l’ordre des rites sacrés, le viatique devait être suivi de l’extrême-onction, mais on remit la seconde cérémonie au lendemain, la première ayant fait éprouver au malade trop de fatigue : quand il s’agit de donner ce dernier témoignage de la réconciliation du pécheur avec l’église, l’évêque refusa encore d’y procéder avant d’être assuré que les dames fugitives s’étaient remises en route pour une destination plus éloignée. Cette fois encore nulle résistance ne pouvait lui être opposée. « Où voulez-vous donc qu’elles aillent ? demanda-t-on au roi. — À Paris, ou bien où elles voudront, répondit-il, pourvu que ce soit loin. » Il reçut alors l’extrême-onction devant une affluence de ministres, d’officiers et de courtisans aussi nombreux, dit une relation écrite du temps, qu’un parterre d’opéra à une première représentation. L’office terminé, l’évêque se retourna vers l’assistance : « Messieurs, dit-il, le roi me charge de vous déclarer qu’il se repent dm scandale et du mauvais exemple qu’il a donné. » Puis, faisant allusion à un bruit qui circulait et à une nomination qu’on disait déjà faite, il ajouta : « Le roi déclare qu’il n’a point l’intention d’appeler Mme de Châteauroux à la surintendance de la maison de la dauphine. — Ni de faire sa sœur dame d’atours, » dit alors le roi d’une voix faible, mais entendue de tous les assistans ; supplément de contrition assez inutile, prêtant à d’étranges interprétations et que l’évêque se défendit, tout de suite d’avoir provoqué, Richelieu

  1. La duchesse de Châteauroux à Richelieu, 13 août 1744’. (Lettre communiquée par M. de Boislisle.)