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passion accoutumée ; mais le roi, lui prenant la main pour la baiser : « Ma princesse, lui dit-il (c’est le duc de Luynes qui met cette expression dans sa bouche), je crois que je fais mal et qu’il faudra peut-être nous séparer. » Puis il recommanda au duc de Richelieu de l’emmener chez lui et de prendre soin d’elle.

C’était un congé tendrement donné, mais il n’y avait pas à s’y méprendre. La duchesse, ne pouvant se résigner, après avoir inutilement séduit les médecins, essaya de fléchir le confesseur : c’était un jésuite, le père Pérusseau, assez timide de sa nature et rendu tel, plus encore, par l’embarras de la position très délicate qu’il avait dû garder dans ces derniers temps. Croyant sans doute qu’elle trouverait chez lui quelques-unes de ces facilités de conscience que des calomnies très accréditées prêtaient à la fameuse compagnie, Mme de Châteauroux s’efforça d’obtenir qu’il se bornât à lui interdire l’entrée de la chambre royale, sans la faire sortir avec éclat du palais et en se contentant de la promesse que tout commerce criminel cesserait à l’avenir si le roi se rétablissait. « La proposition, dit Luynes, qui raconte l’entretien sans pourtant affirmer positivement qu’il ait eu lieu, ne fut point agréée par le père Pérusseau, et cela est aisé à croire. » En tout cas, la conversation ne put être longue, car un grand bruit qui s’éleva l’interrompit : c’était le roi qui venait d’être saisi d’une subite défaillance ; il s’était déjà cru mort, et en proie à la terreur des châtimens célestes, appelait à grands cris les secours de l’église.

Si le père Pérusseau (ce que je suis très éloigné de croire) eût eu la faiblesse de céder, ou la naïveté d’ajouter foi aux promesses de Mme de Châteauroux, il en eût été pour ses frais de crédulité, car ce n’était point assez de recevoir les aveux secrets du roi et les promesses de son repentir : il fallait, par la réception des derniers sacremens, en donner à la conscience publique, si récemment outragée, l’éclatant témoignage ; et ce n’était pas le confesseur, mais bien le grand-aumônier qui était le ministre désigné de cette solennité. Celui-là ne pouvait être sujet même au soupçon de la moindre complaisance. François de Fitz-James, évêque de Soissons, était un prélat encore jeune, de la plus illustre origine, petit-fils du maréchal de Berwick, appelé lui-même à la succession d’une duché-pairie et qui, malgré sa qualité d’aîné de famille, avait renoncé dès l’adolescence à l’éclat de son rang pour obéir à l’appel d’une sainte vocation. La pureté de ses mœurs, l’intégrité de son caractère, après avoir édifié son diocèse, défiaient, depuis plusieurs années déjà, la malveillance de la société corrompue au sein de laquelle sa charge de cour l’obligeait de vivre. Ceux que son autorité gênait, ne sachant que lui reprocher, l’accusaient volontiers