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le duc de Bouillon, grand-chambellan, invoqua la prérogative de sa charge, qui lui donnait le droit d’assister à toutes les consultations des médecins. L’évêque de Soissons, grand-aumônier, demanda d’un ton moins animé, mais plus grave, si on voulait courir le risque de laisser mourir le roi de France sans le secours de la religion, à l’état de péché public. De leur côté, de jeunes officiers, amis de Richelieu, se riaient de ces prétextes et de ces scrupules, et la querelle devint assez vive pour que, de l’antichambre, le bruit s’entendît dans les appartemens intérieurs. Les duchesses et les confidens, avertis de ces rumeurs, essayèrent de faire taire les mauvaises langues en décidant les médecins, Lapeyronie et Chicoyneau, à donner une consultation publique. On leur fit la leçon, et les deux docteurs déclarèrent que, si l’état du roi donnait lieu à quelques symptômes alarmans, de nature à effrayer ceux qui n’en connaissaient pas la cause, à leurs yeux, ce n’étaient que les effets ordinaires d’une forte fièvre, et que le véritable danger consisterait à donner au malade, sur le caractère de ses souffrances, une inquiétude prématurée. Richelieu, de son côté, qui avait des prétentions à se connaître en médecine, affirma qu’il avait tâté le pouls du roi à plusieurs reprises et qu’il ne reconnaissait ni l’intensité fébrile ni le trouble qui pouvaient faire craindre un péril prochain.

Ces avis, trop évidemment concertés d’avance, ne rassurèrent personne. « Ces messieurs sont-ils protestans, disaient les âmes pieuses scandalisées, pour attacher si peu de prix à l’accomplissement des prescriptions de l’église ? » Les princes prirent alors leur parti de forcer la porte, puisqu’on ne la leur ouvrait pas. Le comte de Clermont entra le premier, suivi du duc de Chartres : on dit qu’ils furent obligés de pousser eux-mêmes du pied le battant de la porte, en heurtant assez rudement le duc de Richelieu, qui roulait leur barrer le passage, et à qui le duc de Chartres demanda avec hauteur si un valet avait la prétention de faire la loi aux parens de son maître. L’un et l’autre s’approchèrent alors du lit du roi, en protestant qu’ils n’avaient d’autre intention que de lui rendre leurs dommages et de s’informer de ses nouvelles. Le roi les reçut de bonne grâce, et ils se retirèrent.

Mais la glace était rompue, et le cérémonial ordinaire reprit son cours. L’évêque de Soissons en profita pour avertir le roi qu’il était temps de mettre sa conscience en règle. « Je suis trop faible en ce moment, dit le prince ; mais les médecins promettent de me soulager dans la journée, et je vous ferai prévenir. » L’évêque n’insista pas ; seulement, en quittant la chambre, il avertit qu’il se tenait aux ordres du roi, Dès qu’il fut sorti, Mme de Châteauroux rentra, et, s’approchant du malade royal, lui parla dans les termes de leur