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chemins de fer italiens rencontrent dans la navigation une concurrence redoutable, et ils ne pourront en triompher que par un notable abaissement de leurs tarifs. Dans l’état de choses actuel, les marchandises lourdes de Naples à destination de Milan ou Vérone ont avantage à prendre la voie de mer jusqu’à Gênes, où elles sont débarquées et remises à l’administration de la Haute-Italie. Elles font un détour très considérable, mais le cabotage les transporte à meilleur marché de Naples à Gênes que le chemin de fer ne le ferait de Naples à Pise, où elles trouveraient également le réseau de la Haute-Italie. Cette dernière administration percevant le même prix de Gênes ou de Pise à Vérone, n’a aucun motif de consentir à des réductions de tarif qui ne profiteraient qu’à une administration étrangère. À raison du parallélisme de la voie maritime et de la voie ferrée, les longs parcours avec tarifs décroissans peuvent seuls permettre aux chemins de fer de disputer au cabotage le transport des marchandises à petite vitesse. La division longitudinale proposée par M. Depretis multipliait les longs parcours et plaçait par conséquent les chemins de fer italiens dans les conditions les plus favorables au développement de leur trafic.

Enfin, une dernière raison, et non la moins décisive, faisait pencher la balance en faveur du système de M. Depretis. Le gouvernement avait pris vis-à-vis des provinces l’engagement de construire plusieurs milliers de kilomètres. Le mauvais état des finances ne lui permettait d’exécuter cet engagement qu’avec une extrême lenteur et qu’au moyen d’emprunts continuels. Ces emprunts avaient, il est vrai, un gage spécial, les biens confisqués sur le clergé, et devaient être graduellement amortis par l’aliénation du domaine ecclésiastique ; mais ils n’en portaient pas moins préjudice au crédit de l’état par la dépréciation des fonds publics. Le gouvernement désirait donc vivement se décharger sur l’industrie privée de la tâche onéreuse que la politique l’avait contraint d’assumer. Quel concours aurait-il pu attendre de quatre ou cinq petites compagnies, à ressources restreintes et à crédit limité, qui se seraient lait concurrence sur le marché des capitaux et n’auraient pu contracter d’emprunts qu’à des conditions onéreuses ? Il avait, au contraire, l’exemple de la vigueur avec laquelle la Société impériale et royale avait conduit la construction des lignes lombardes et vénitiennes ; il avait donc l’espoir que deux grandes sociétés, puissamment organisées, pourraient faire appel aux capitaux étrangers et porteraient aisément le fardeau sous lequel les finances publiques succombaient.

Le projet de M. Depretis prévoyait donc la transformation de la Société des chemins méridionaux en une société d’exploitation à