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sérieux de l’abondance de l’argent, la modicité extraordinaire des taux de report étant de nature à créer quelques illusions à cet égard. Les capitaux ont évidemment repris confiance depuis quelques mois ; le chemin de la Bourse leur est redevenu familier ; mais ils n’y viennent pas pour se porter indistinctement sur toutes les catégories de valeurs. Le krach de 1882 et les deux années de crise financière qui ont suivi ont inspiré à l’épargne une crainte instinctive de tout ce qui est placement aléatoire et un goût très vit pour les titres à revenu fixe, en premier rang pour les obligations de nos grandes compagnies de chemins de fer garanties par l’état. Les compagnies, que la signature des conventions mettait en demeure de se procurer des ressources pour l’exécution des travaux dont elles venaient de prendre la charge, ont habilement et heureusement profité de cette disposition du grand public capitaliste. Elles ont vendu à leurs guichets des quantités considérables d’obligations à des prix de plus en plus élevés, en sorte que ces titres, qui, il y a quelques mois, oscillaient entre les cours de 350 à 360, valent aujourd’hui de 370 à 380.

Voici maintenant que cette émission à jet continu se ralentit, les compagnies s’étant pourvues de fonds pour longtemps ; d’ailleurs les cours sont plus élevés et l’attrait du placement se trouve un peu diminué. Où pouvait dès lors se diriger ce puissant courant de l’épargne, sinon du côté des rentes françaises et de quelques autres valeurs obtenant, par suite de leur caractère spécial, une part de la faveur jusque-là exclusivement réservée par le public aux obligations ? Une hausse progressive des rentes était inévitable ; avec les rentes ont monté peu à peu les obligations du Crédit foncier, puis les actions elles-mêmes des grandes compagnies de chemins de fer, à cause du revenu minimum garanti par l’état, et les actions du Crédit foncier dont le dividende présente une stabilité exceptionnelle. Nous pouvons ajouter à ces valeurs le groupe spécial des titres de la compagnie de Suez, actions, délégations, Parts civiles et de fondateurs, obligations, puis les actions et obligations du Gaz, des Voitures. Quant aux titres de la plupart des établissemens de crédit, ils ne donnent toujours lieu qu’à des négociations fort restreintes, alimentées à peu près exclusivement par les échanges de la clientèle spéciale à chacun d’eux. On peut en dire autant de la grande majorité des autres valeurs, entreprises industrielles, chemins étrangers, etc.

Ces considérations expliquent à la fois et l’apparente torpeur où semble plongée la Bourse par suite de l’abstention momentanée de la spéculation et la fermeté inébranlable des cours, résultant de l’activité plus sourde, mais continue, du marché au comptant.

La faveur du public s’est tournée principalement du côté du 3 pour 100 perpétuel depuis que la conversion des consolidés anglais est chose décidée. On sait que cette conversion consiste en un échange,