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Comédie-Française, enfermés dans la forteresse que le respect public leur a bâtie, appelaient à leur secours un auteur gai; M. Bisson, le premier, s’est avancé pour l’assaut : rien d’étonnant à ce que son ouvrage serve de fascine. Mais, pour notre part, une pièce du Palais-Royal nous eût enchanté à la Comédie-Française pourvu qu’elle fût, toutes bienséances gardées, dans le goût de Thiboust et de Barrière, de Labiche, de Gondinet, de Meilhac et Halévy, de tous ces auteurs qui, depuis un quart de siècle, ont fait du petit théâtre de la rue Montpensier le refuge du vrai comique et de la jovialité française. N’est-ce pas là qu’ils ont prodigué ces farces, mêlées d’observation et de fantaisie : Les Jocrisses de l’amour, Célimare le Bien-Aimé, le Plus Heureux des trois, le Panache, la Boule, et combien d’autres que je ne cite pas, mais que j’estime pour m’avoir fait rire ! Car, à présent, après tant de vaudevilles produits par M. Scribe, par ses émules et par ses élèves, après ce prodigieux abus qui s’est fait du manège scénique exercé pour lui-même, du quiproquo tout pur poussé jusqu’à la perfection, et après ce changement heureux qui nous a réjouis alors que la satiété de ce genre nous écœurait, on ne peut plus guère nous faire rire que par ce moyen digne d’estime : l’usage de l’observation relevée de fantaisie.

M. Bisson s’est fié aux vieilles recettes : en vérité, c’est dommage. A-t-il voulu consoler ceux qui trouveraient M. Meilhac « trop entêté du fin? » A-t-il voulu remettre en honneur, avec le style de Scribe, une intrigue trop chère aux contemporains de ce faux dieu? Son héros, Chantelaur, s’ennuie en province, dans une maison austère, entre une belle-mère trop importante et une femme trop effacée. Pour suivre à Paris une actrice de passage, il s’avise d’annoncer qu’il se présente aux élections dans un arrondissement voisin ; il envoie devant les électeurs, à sa place et sous son nom, un ancien camarade à lui, devenu son secrétaire, Pinteau. Il compte sur une centaine de voix à peine, étant royaliste et sachant l’arrondissement radical; mais il compte sans la chaleur des opinions de Pinteau, directement contraires aux siennes, qui se trahissent au milieu d’une réunion publique, Emporté par l’animation de la lutte, Pinteau devient sincère et ravit l’auditoire; il est élu, sous le nom de Chantelaur, comme député d’extrême gauche. D’autre part, sous ce même nom, dans les intermèdes de sa campagne politique, il a séduit une nymphe de Bombignac. De là une double série de quiproquos qui tombent en grêle sur Chantelaur, ignorant de ce double méfait : il a trahi son parti ! il a trompé publiquement sa femme ! Cette donnée, qui est celle du Mari à la campagne, pouvait prêter, soit à une comédie de mœurs domestiques, comme celle de Bayard et de Wailly, soit à une comédie de mœurs politiques; dans l’une et dans l’autre, observation et fantaisie pouvaient