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leurs moyens d’attaque ou de défense, nous les vaincrons. Le danger pour nous n’est pas là; il est tout entier dans l’insalubrité d’une grande partie du pays qu’il faudra occuper.

La fièvre malarienne sévit partout à Madagascar, ainsi qu’à Nossi-Bé, même aux endroits où il n’y a pas le moindre marais. Elle y sévit sous toutes ses formes, avec tous ses types, depuis l’accès le plus simple jusqu’à celui qui se termine en quelques heures par la mort. De l’avis des médecins[1] les plus compétens, c’est une intoxication produite par un miasme qui proviendrait de matières organiques en décomposition dans le sol. Il n’y a qu’un remède pour l’Européen dès qu’il se sent atteint des fièvres, c’est de partir pour la France et pour la Réunion; encore beaucoup de malades meurent-ils pendant la traversée ou peu après leur arrivée. Pourrons-nous faire une expédition d’une certaine importance à Madagascar sans y remuer de la terre? C’est douteux, et pourtant il faudra bien s’en garder, car ouvrir des routes, abattre des arbres, creuser le sol même superficiellement, serait déchaîner la mort, une mort foudroyante, sur les hommes. En 1841, la Dordogne, qui amenait des soldats destinés à l’occupation de Nossi-Bé, mouilla sous la montagne de l’Okobé et les débarqua sur un emplacement situé entre la baie Antsiram-Bazaha, — plus tard la baie d’Hell-Ville, — et celle d’Ambanoro, pointe de terre assez élevée et faiblement défendue. Les quelques travaux de campement et de défense qu’il fallut exécuter produisirent une telle explosion de fièvre qu’en peu de jours on perdit quatre-vingts hommes. Le nom de « Pointe à la fièvre » est resté à cet endroit, et les Malgaches eux-mêmes, qui ont été témoins de ces morts rapides, s’en éloignent et en parlent encore aujourd’hui avec terreur. Dans les îles de la mer des Indes comme dans celles de l’Océanie, sur les vieux continens d’Asie comme dans ceux du Nouveau-Monde, le même phénomène sinistre se produit invariablement dès qu’on remue une terre vierge de toute culture. Il est donc essentiel, avant de tenter quoi que ce soit d’important contre Madagascar, de bien connaître quels sont, sur son littoral, les points les plus salubres, ceux où il est possible de s’établir sans faire courir à nos soldats les risques d’un empoisonnement.


III.

S’il est vrai que les côtes de l’île de Madagascar sont généralement malsaines, il s’en trouve pourtant où l’Européen, s’il ne commet pas d’excès, peut se maintenir quelque temps sans crainte d’être

  1. Essai de géographie médicale, par M. Paul-Richard Deblenne, A. Parent.