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A part le riz, la volaille et les œufs, tous les autres comestibles seront introuvables pour lui. Un homme blanc, d’un poids ordinaire, a besoin de huit hommes forts, bien choisis, pour le porter dans un filacon ou filanzane, petit fauteuil placé entre deux brancards dont on se sert pour voyager[1]. Les provisions et les bagages réclament également un nombre de porteurs ou marmites, selon l’expression du pays, en rapport avec leur quantité; une marmite porte ordinairement une charge de 15 à 20 kilogrammes. Autant que possible, les esclaves de charge divisent leurs paquets en deux parties égales et les portent, comme des coolies chinois, aux extrémités d’un bambou, en appuyant le centre sur une épaule. Le filacon est porté par quatre hommes qui doivent se relever souvent. Ils vont toujours au pas de course, et ceux qui suivent sont obligés de prendre le même pas pour être prêts à les remplacer. Un guide-chef, appelé le commandeur, dirige l’expédition. C’est ce personnage qui s’occupe du coucher, des subsistances et des étapes. Placé à l’arrière du convoi, le commandeur rallie les retardataires et ramasse quelquefois les bagages abandonnés par quelques porteurs paresseux. Aux difficultés de la route se joignent de fréquentes alternatives de chaleur, de soleil et de pluie. A des rayons brûlans succèdent des averses, un vent violent; à des nuits étouffantes, des levers d’aurore glacés. Il faut donc toujours avoir à sa portée des vêtemens que réclament ces changemens si brusques de l’atmosphère. S’imagine-t-on bien ce qu’un petit corps d’armée, ayant pour objectif la capitale des Hovas, nécessitera d’approvisionnemens et de porteurs? N’oublions pas de faire remarquer que la ville de Tananarive est située à 1,200 mètres au-dessus du niveau de la mer, et que sa population est évaluée de 50 à 80,000 habitans. Nos soldats atteindront-ils un tel but? Nous le croyons en toute sincérité, après avoir vu les prodiges accomplis par nos troupes au Tonkin, à Sontay comme à Bac-Ninh, leurs longues étapes s’exécutant en file indienne sur un terrain détrempé, et leurs nuits passées sans abri dans des rizières boueuses. Mais les difficultés matérielles ne sont pas les seules; il y a aussi les Hovas, qui sont des hommes autrement résolus que les Chinois, et dont l’armement, quoique inférieur au nôtre, n’est pas à dédaigner puisqu’il leur a été fourni par les Anglais. Leur nombre est de 2,500,000 d’après ce que nous apprend un de nos grands voyageurs, M. Grandidier, mais dans ce chiffre figurent les vieillards, les femmes et les enfans; quant à leur bravoure, elle est indiscutable. Mais quel que soit le chiffre des guerriers qu’ils pourraient nous opposer, quels que soient aussi leur courage et

  1. Souvenirs de Madagascar, par M. le docteur H. Lacaze; Berger-Levrault.