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poste sérieux, sans se préoccuper d’y aider à la fondation d’un comptoir, nous laissâmes les Hovas molester comme par le passé nos malheureux alliés les Sakalaves. De son côté, la reine de Madagascar, voyant notre apathie, laissa à ses sujets toute liberté pour commercer avec un petit nombre de nos compatriotes. Des missionnaires courageux profitèrent même de cette tolérance pour s’établir jusque dans la capitale de nos ennemis et y construire une magnifique église. Ils s’y livrèrent également, et tout aussitôt, à une lutte d’influence contre les missionnaires anglais, lutte ardente qui dure encore aujourd’hui.

Cette situation se prolongea jusqu’en 1863, époque à laquelle les ministres de Napoléon III, à l’instigation des missionnaires, eurent la maladresse de traiter de puissance à puissance avec le chef des Hovas, D’un chef de tribus barbares ils firent un roi, sa majesté Radama II. Ce souverain se joua si bien de nous que, cinq ans plus tard, en 1868, il fallut traiter encore, et c’est de cette époque que date un article 4 dont la révoltante violation nous a forcément conduits à la guerre actuelle. Cet article 4 dit : « Les Français jouiront à Madagascar du droit de s’établir là où ils le jugeront convenable, de prendre à bail, d’acquérir des meubles et des immeubles. » Rien de plus catégorique, et cependant cet article a été audacieusement violé. En 1878, un compatriote, M. Laborde, consul de France à Madagascar, meurt à Tananarive en laissant des propriétés considérables, acquises par un rude labeur et évaluées à plusieurs millions de francs. Par son testament, M. Laborde désignait comme ses seuls héritiers, et pour parts égales, M. Edouard Laborde et M. Campon, ce dernier remplissant dans la capitale des Hovas les fonctions de chancelier au consulat de France. Tous les biens immeubles laissés par le défunt étaient représentés par des titres de propriété parfaitement en règle et incontestables.

Après la mort de leur oncle, les héritiers, qui ne possédaient aucune fortune, voulurent tirer parti d’un grand terrain de la succession, situé dans un faubourg de Tananarive, à Ambohitsorihitra, et y construire une maison de rapport. Le gouvernement hova leur laissa commencer les constructions, puis il leur défendit quelques mois après de continuer les travaux, déclarant que des étrangers n’avaient pas le droit de bâtir. Le consul protesta, et en réponse à cette protestation, on publia devant sa porte le décret qui suit, décret daté de 1881 et seulement créé en vue de frustrer les héritiers de M. Laborde : « La terre, à Madagascar, ne peut être vendue ou donnée en garantie qu’entre sujets du gouvernement de Madagascar. Si quelqu’un vend ou donne en garantie à d’autres personnes, il sera mis aux fers à perpétuité. L’argent de l’acheteur ou du prêteur