Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur nous, fut pris l’état-major, à la tête duquel était Sombreuil[1]. » La division du comte de Sombreuil mettant bas les armes, et Sombreuil lui-même pris sur son rocher, voilà donc, au premier moment, tout le récit de Hoche. De la capitulation, des circonstances qui l’auraient accompagnée, des conditions qui auraient été stipulées entre les deux parties, pas un mot.

Ce n’est que plus tard (le 3 août) en réponse à la lettre adressée par Sombreuil à sir Johns et pour la contredire, que le général écrira : «J’étais à la tête des sept cents grenadiers qui prirent M. de Sombreuil et sa division, aucun soldat n’a crié que les émigrés seraient traités comme prisonniers de guerre, ce que j’aurais démenti sur-le-champ[2]. » Et notez qu’ici même, non-seulement il ne s’arrête pas à discuter l’hypothèse de la capitulation, mais il nie que ses soldats se soient laissé attendrir. De la pitié pour des émigrés, allons donc! Est-ce qu’on transige avec ces gens-là? « Puisaye, mandait-il déjà quelques jours auparavant à Chérin, l’astucieux scélérat Puisaye, demande à parlementer, ce que nous ferons à coups de canon. » Comment, après cela. Hoche eût-il reçu Sombreuil à capitulation? Ni il ne s’en était réservé la faculté, ni son cœur ne l’y poussait. Il fera bien pis dans quelques jours : Sombreuil ayant attribué[3] le peu de résistance de ses troupes à leur défaut de munitions, il lui répliquera durement que, si les cartouches manquaient à ses soldats, c’est qu’ils les avaient jetées pour courir plus vite. La chose était vraie peut-être, mais était-ce bien à Hoche d’en triompher et d’en accabler un vaincu dans sa prison? Il aurait pu, ce semble, éviter d’empoisonner les derniers momens de cet infortuné Sombreuil par cette impitoyable rectification. Mais tel était l’homme : dur, sec, et n’eussions-nous de lui que ce trait qu’il suffirait à rendre bien invraisemblables les versions royalistes.

Le récit de Tallien est, sans en excepter le rapport de Hoche lui-même, le document le plus complet que nous possédions sur l’affaire de Quiberon. Est-ce le plus sincère et celui qui mérite le plus de confiance? J’avoue qu’ici tous les scrupules semblent autorisés : le ton emphatique de cette pièce, les gasconnades dont elle est pleine, les circonstances et la mise en scène ridicules qui l’accompagnèrent, tout se réunit pour en diminuer l’autorité. C’était le 9 thermidor, un an jour pour jour après la chute de Robespierre. La séance de la convention avait débuté par une pauvre déclamation

  1. Archives de la guerre (22 juillet 1795).
  2. Hoche au citoyen Fairin, rédacteur du Journal militaire des armées des côtes de Brest, de Cherbourg et de l’Ouest, à Rennes. (Archives de la guerre.)
  3. Dans sa lettre à sir Johns.