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des traits d’une si rare perfection? C’est infiniment probable. L’ouverture des Archives de la guerre, pour la période de la révolution, permettra certainement un jour à quelque travailleur de présenter au public un Hoche d’après nature, j’entends d’après sa correspondance non expurgée et qui pourrait bien sur plus d’un point différer du Hoche consacré.

Elle est singulièrement instructive, en effet, cette correspondance, et si l’homme qu’elle nous montre n’est pas aussi accompli que celui de Victoires et Conquêtes, il est bien autrement intéressant et vivant avec ses impatiences, ses amertumes, sa misanthropie[1], ses défiances qui touchent parfois à la manie[2], sa dureté pour les vaincus, sa hauteur dans ses rapports hiérarchiques, son ambition sans scrupules, insatiable[3], et son mépris de la légalité.

Dans les derniers mois surtout, ces dispositions naturelles s’accusent singulièrement chez Hoche : le ton de ses lettres trahit une irritation qui ne demande qu’à éclater et qui ne se contient qu’en attendant une occasion. Manifestement le dictateur est prêt. Déjà il est venu s’offrir à Paris pour le coup qui se machine ; il a vu Barras, le roi des pourris; il a mis sa main dans la main de ce cynique, accepté de lui le ministère de la guerre, bien qu’il n’ait pas encore l’âge fixé par la constitution, et consenti, pour appuyer l’entreprise contre la majorité des conseils, à diriger une partie de son armée vers l’ouest. Le pacte est conçu, signé ; la France peut dormir ; le héros de Sambre-et-Meuse et le patron des fournisseurs véreux veillent ensemble au salut de l’empire. Soudain la scène change, la mèche est éventée ; les conseils s’inquiètent et Carnot se fâche. Soit malentendu, soit imprudence, un détachement a franchi la limite constitutionnelle. De là grand émoi dans Paris. Hoche est appelé par le directoire, malmené par Carnot, désavoué ou plutôt non avoué par Barras, qui garde le silence. L’affaire est manquée, pour le moment. Il rend son portefeuille, que prend Scherer, et repart pour son camp.

  1. « L’ingratitude et l’injustice des hommes m’ont rendu fort misanthrope. » (Lettre du 23 mars 1797 à Moreau.)
  2. « Nos armées sont pleines d’espions envoyés par le ministre Scherer. » (Lettre du 13 septembre 1797.) « Si le gouvernement ne s’empresse d’épurer les armées, tel qui n’est aujourd’hui qu’un mécontent modéré, sera bientôt un ennemi déclaré. Les Pichegru, les Jourdan, les Lefebvre, les Bernadotte et tous ces fermes soutiens de la patrie comptent-ils dans les rangs ennemis leurs parens, leurs amis?» (Lettre du 22 décembre 1795)
  3. « J’ai reçu, écrit Moreau à Reynier, une lettre de Bellavenne, très curieuse, sur l’ambition de Hoche, qui voulait encore tout faire. » Voici cette lettre : « Hoche n’a pas voulu être sous vos ordres. Il a fait et fait encore des efforts pour commander les deux armées. Il a prétendu commander la Belgique et le corps de l’armée du Nord. Il ne veut avoir rien de commun avec Beurnonville; il se défera des généraux qui ne lui conviendront pas... »