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il nous est fourni par cette célèbre mosaïque de Palestrina, qui semble représenter une vue du Nil au moment de l’inondation. Sur les bords du fleuve qui, par ses bras multiples, pénètre dans les terres, se pressent des blancs et des nègres, des crocodiles, des hippopotames, des girafes et aussi d’autres animaux fantastiques plus ou moins reconnaissables, des édifices de toute sorte, des obélisques, des tentes et des grottes formées par des rochers. Mais si, dans ce vaste panorama qui se déroule à vol d’oiseau sur plus de 6 mètres de large et environ 5 mètres de haut, tous les élémens pittoresques sont évidemment empruntés à l’Egypte, il est plus que douteux qu’il faille y voir une vue positive, et c’est vainement qu’on a cherché à établir un lien entre les divers épisodes qui y figurent. Malgré les innombrables commentaires et les explications d’une subtilité plus ou moins ingénieuse qui en ont été proposées, il semble maintenant très probable qu’en s’appliquant à grouper dans une même composition les aspects les plus curieux d’une région étrangère, les décorateurs de ce temps ne faisaient que se conformer à la mode d’alors, mode dont les turqueries ou les chinoiseries du siècle dernier et le japonisme d’aujourd’hui nous offrent l’équivalent. Comme au siècle dernier encore, ce goût des paysages exotiques s’allie dans les décorations pompéiennes à celui des ruines, des bergeries, aux représentations fréquentes de scènes de chasses ou d’épisodes amoureux traités avec une liberté pareille. A part les raffinemens d’élégance qui ne pouvaient évidemment se retrouver au même degré dans les villas de plaisance de ces petits bourgeois de la Campanie et dans les salons ou les boudoirs de nos grands seigneurs, bien des analogies, on le voit, se remarquent à travers les siècles, dans cet art de la décadence qui, déshabitué des nobles aspirations et des grands sujets, s’accommode aux caprices d’une société vieillie et blasée, qui, au moment où elle va sombrer, cherche à s’entourer d’images riantes et de distractions futiles.

On s’abuserait étrangement d’ailleurs à vouloir porter un jugement sur la peinture antique d’après ces décorations campaniennes, à y voir autre chose qu’un reflet lointain et des réminiscences amoindries des grandes époques, de leur façon de comprendre et d’interpréter les sujets pittoresques. Nous ne devons pas oublier que ce ne sont là que des œuvres de second ordre, œuvres anonymes dont l’exécution courante relève de l’art industriel bien plus que de l’art véritable, productions faciles de ces décorateurs dont on retrouve encore aujourd’hui les traditions dans quelques-unes des plus modestes localités de l’Italie. Sans doute, parmi ces ouvrages il est possible de relever des différences d’habileté assez notables, mais aucun ne manifeste un sens personnel ou une originalité qui