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l’argent ou l’or bruni de leurs corolles sur le fond mat du bronze. Le bois, brut ou recouvert de laque, est décoré d’animaux, de bouquets, ou de paysages dessinés par les incrustations chatoyantes de la nacre ou fouillés par le ciseau patient du sculpteur. Des panneaux du musée de Fontainebleau nous montrent plusieurs de ces paysages en relief, où des arbres, traités avec une vérité extrême et facilement reconnaissables à leur feuillage, se pressent sur les bords de bassins aux rives bizarrement contournées; dans le ciel, des nuages, découpés par bandes horizontales, laissent entrevoir la lune, représentée par un globe sphérique.

Mais les types les plus significatifs que les Chinois nous ont laissés de leur façon de concevoir et d’exprimer la représentation de la nature, c’est leur céramique qui nous les fournit, car c’est là, à vrai dire, leur art national, celui qu’ils ont de longue date pratiqué avec une incontestable supériorité[1]. Nous y trouvons, comme dans toutes les autres productions de leur art industriel, cet amour de la réalité et cette perfection d’exécution qui donnent du prix même aux moindres détails décoratifs empruntés par eux à la nature. Une branche de pêcher ou de cognassier en fleurs, des pivoines, des camélias, quelques chrysanthèmes leur suffisent pour charmer nos yeux. Les plus simples données sont même pour eux les meilleures, celles où ils risquent le moins d’alourdir et de compromettre l’aspect de leurs ouvrages, ainsi qu’ils le font dans des arrangemens plus compliqués. Excepté dans les monstres assez ridicules dont nous avons déjà parlé, leur imagination ne brille guère par la fécondité, et la part de l’invention se réduit le plus souvent, pour eux, à varier, sans beaucoup d’à-propos, le groupement des combinaisons ornementales qui ont été accueillies avec faveur par le public. C’est ainsi qu’au musée de Dresde, par exemple, à côté de fleurs d’une grâce charmante heureusement disposées sur une potiche, on peut voir des poissons en conversation familière avec des oiseaux ; ailleurs des crabes volent ou se provoquent au combat dans les airs, au-dessus d’un riant parterre. L’incohérence de ces arrangemens est encore soulignée par le réalisme minutieux avec lequel chacun de ces détails est rendu. Ce parti-pris de réalisme étroit inspire d’ailleurs aux peintres du Céleste-Empire les plus étranges préoccupations. Dans leur désir de montrer les objets tels qu’ils sont, on sent à chaque instant percer le regret de ne pouvoir à la fois en faire voir la face et le revers. Le visage dont ils veulent reproduire les traits est placé de telle sorte que la symétrie des

  1. en dehors des musées de La Haye, de Dresde, de Kensington, du Louvre, de Sèvres et de Fontainebleau, où l’on peut le mieux étudier la céramique chinoise, des expositions nombreuses organisées à Paris dans ces dernières années ont permis de connaître les œuvres les plus importantes que possèdent les collections particulières.