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éternelle même question : « Mais qu’est-ce donc que s’amuser ? » Elle pensa que je cherchais à l’embarrasser ; mais elle reprit : « Ce que vous faites en ce moment, par exemple : vous amusez-vous ? » J’étais embarrassé à mon tour, ou du moins je crus l’être : « Certes, oui ! répondis-je ; c’est donc là s’amuser ? — Sans doute !… Eh bien ! ajouta-t-elle, avec un sourire charmant, s’amuse-t-on ? » Et je dus avouer qu’on ne s’amusait pas de la même manière.

Car enfin on s’amuse, et beaucoup, quand on n’est pas dépourvu d’esprit, ou tout au moins de bonne humeur. L’esprit joue dans nos plaisirs le plus grand rôle. Naturellement on l’excite, on le met en train, on lui donne des ailes ; mais il est le grand organisateur de nos amusemens.

La vie au dehors n’est pas organisée comme la vie à l’européenne. On ne cherche pas les distractions et les amusemens hors de chez soi. Les Chinois qui ont quelque fortune sont installés de manière à n’avoir pas à désirer les plaisirs factices qui sont en somme la preuve qu’on se plaît peu chez soi. Ils ont pensé d’avance à l’ennui qui aurait pu les envahir et ils se sont prémunis contre l’occurrence. Ils n’ont pas cru que les cafés et autres lieux publics fussent absolument nécessaires pour perdre agréablement son temps. Ils ont donné à leurs habitations tout le confortable que des hommes de goût peuvent y désirer : des jardins pour se promener, des kiosques pour y trouver de l’ombre pendant l’été, des fleurs pour charmer les sens. À l’intérieur, tout est disposé pour la vie de famille : le plus souvent le même toit abrite plusieurs générations. Les enfans grandissent, et, comme on se marie très jeune, on est vite sérieux. On pense aux amusemens utiles, à l’étude, à la conversation, et les occasions de se réunir sont si nombreuses !

Les fêtes sont très en honneur en Chine et on les célèbre avec un grand entrain. Ce sont d’abord les anniversaires de naissance, et ils reviennent fréquemment dans les familles. Ces fêtes consistent surtout en festins ; on offre des cadeaux à la personne fêtée ; c’est une suite de réunions qui ne manquent pas de charme.

Nous avons aussi les grandes fêtes populaires : celle du nouvel an, qui met tout le monde en mouvement. Les fêtes des Lanternes, des Bateaux-dragons, des Cerfs-volans sont plutôt des fêtes populaires que des amusemens, mais elles sont l’occasion de rendez-vous et de réunions de famille qui donnent beaucoup d’animation. Ces fêtes officielles ne sont pas les seules. On fête également les fleurs, auxquelles on prête certains pouvoirs allégoriques, et chaque fleur possède son anniversaire. On s’adresse de famille à famille des invitations à venir contempler un beau clair de lune, un ravissant point de vue, une fleur rare. La nature fait toujours partie de la fête, qui s’achève par un festin. Les convives sont aussi invités à