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telle sensibilité, — nous l’appelons, en Chine, un petit monde, — qu’il faut bien la connaître avant de la soumettre à un traitement. Or, certes, il vaut mieux, un million de fois mieux, qu’elle soit brute, ignorante, que mal instruite, je veux dire mal élevée. Je plaindrai ceux qui ne penseront pas comme moi, et, en fait de socialisme, puisqu’il en faut nécessairement un, ou l’un ou l’autre, j’aime mieux le socialisme d’état qui règle tout, sous la protection de l’opinion publique, que le socialisme des caprices irréguliers qui ne conduit qu’aux anarchies. Comme le dit un de nos proverbes : Il vaut mieux être chien et vivre en paix que d’être homme et vivre dans l’anarchie.

xii. — le culte des ancêtres.

Parmi les croyances qui tiennent le plus au cœur des Chinois il faut citer en première ligne celle qui se rattache au culte des ancêtres. C’est la base même de la vie morale en Chine.

Honorer les ancêtres, leur rendre un culte, est un devoir aussi important que celui de la prière chez les chrétiens. Il n’en existe pas de plus grand ni de plus populaire.

Chaque famille honore ses ancêtres. Leurs noms sont inscrits sur des tablettes qui portent en même temps la mention des services rendus par chacun d’eux et les titres qu’ils ont obtenus de leur vivant. Ces tablettes sont placées dans l’ordre même de la filiation de manière à représenter une sorte d’arbre généalogique, et, selon la fortune des familles, le monument des ancêtres peut recevoir les proportions magnifiques d’un temple où réside éternellement, comme un feu sacré, l’âme de la famille. Ce temple est la demeure des ancêtres, et c’est là qu’à des dates fixes tous les membres de la famille se réunissent pour honorer ceux qui ne sont plus, et donner à leur mémoire l’hommage de la reconnaissance.

Ce culte existe dans toute la Chine, dans les plus humbles comme dans les plus opulentes familles. Il constitue l’honneur même de la famille.

J’éprouve une certaine gêne à faire connaître ces mœurs et à en faire l’éloge dans la société européenne, où elles sont absolument opposées à l’idée que l’on se fait des ancêtres ; et je dois m’excuser pour la hardiesse de notre opinion relative à la constitution de la famille, qui est considérée comme formée et de ses membres vivans et des âmes de ceux qui sont morts.

La mort ne brise pas le pacte de l’amour dans la famille ; elle le divinise en quelque sorte, elle le rend sacré. Les morts ne sont pas oubliés. L’oubli pour les morts, c’est une loi en Occident, peu y contredisent ; et à part les familles où par vanité, dit-on, — il fau-