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et non d’une sorte de privilège comme la rente mobilière ou immobilière. Mais, d’autre part, la rente mobilière tend elle-même à diminuer : le taux de l’intérêt va s’abaissant par un mouvement naturel, comme l’a montré M. Leroy-Beaulieu. Le mal, ici, s’amende donc de lui-même. L’état pourrait le diminuer encore en favorisant les institutions de crédit, les banques de prêts populaires qui ont réussi dans d’autres pays. Enfin, une meilleure assiette et une plus équitable répartition de l’impôt, qui ne devrait pas, en pesant sur les subsistances, devenir un impôt progressif à rebours, serait le plus sûr moyen de faire retourner en quelque sorte la partie sociale des revenus à la société entière.

L’héritage peut être, en certains cas, une troisième cause d’accumulation de richesses ; aussi les socialistes, dans leurs déclamations, ont-ils attaqué la légitimité de l’héritage. Cette légitimité est pourtant incontestable, au double point de vue du droit et de l’intérêt social : le droit de posséder et de consommer implique celui d’épargner et de donner; quant à l’intérêt commun, il est évidemment utile que l’individu capitalise le plus possible, par cela même fournisse le plus d’élémens possibles au progrès social. Mais, d’autre part, l’état a ici un droit d’intervention et de restriction vainement nié par certains économistes. En effet, le contrat par lequel le testateur donne ses biens à un autre homme porte non-seulement sur le présent, mais encore sur l’avenir et sur un avenir indéfini; c’est donc un pouvoir positif, et un pouvoir d’oisiveté indéfinie, une rente perpétuelle et une domination perpétuelle qu’on confère pour une époque lointaine où la société aura subi des changemens et des accroissemens, où des besoins nouveaux se seront développés, où, grâce à ces besoins mêmes, les terres rurales ou urbaines auront acquis un prix plus considérable, où, en un mot, la situation des tiers aura été modifiée. Là encore, la société aura contribué elle-même à produire la plus-value dont jouiront les héritiers. Dans tout contrat dont l’effet lointain doit se développer au sein de la société future il y a évidemment un tiers intéressé, quoique absent encore, à savoir la société future elle-même, qui a son représentant actuel dans la société présente. Le testament est un contrat trilatéral : l’homme y dispose pour un temps où lui-même ne sera plus et où d’autres hommes seront, avec une autre situation économique, politique, sociale. Prétendre que c’est là un acte analogue à tous les autres et où la société n’a rien à voir serait un paradoxe. Aussi le législateur de la révolution n’a-t-il fait qu’user d’un droit strict en réglant le mode et la distribution des héritages. Le principe de la réserve légale au profit des enfans, des parens, et même de l’époux survivant, est juste et n’est d’ailleurs que l’acquittement d’une dette, que