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palités ou par l’état, ce serait d’imposer les terrains des villes d’après leur valeur réelle, ou du moins d’après une estimation approchant de leur valeur réelle. On empêcherait ainsi, dit M. Leroy-Beaulieu, la concentration aux mains des spéculateurs « et la soustraction des terrains à la construction. Un terrain valant 1,000 francs le mètre devrait payer l’impôt sur un revenu de 30 ou 40 francs. » Les autres réformes que M. Leroy-Beaulieu propose sont, assurément, un minimum, d’autant plus précieux à noter que ce sont là les propositions d’un des plus modérés parmi nos économistes, d’un de ceux que M. d’Haussonville appelait ici même « les économistes tant mieux ! » Le développement des voies de communications urbaines et suburbaines, la suppression de tous les impôts sur les transports, sur les fourrages, sur les matériaux, la prolongation des chemins de fer dans la capitale, permettraient à la population ouvrière d’habiter des maisons confortables dans un rayon de deux ou trois lieues du centre de Paris ; « le terrain n’y valant guère plus de 1 ou 2 francs le mètre, ou bien encore au maximum 4 ou 5 francs le mètre, l’établissement de maisons ouvrières, sur le type de celles de Mulhouse ou des habitations d’artisans dans les principales villes d’Amérique, serait aisé. La baisse de l’intérêt du capital, la suppression ou la réduction à un taux insignifiant des droits de mutation, les prêts d’institutions de crédit foncier populaires, auxquelles serait réservé l’avantage de pouvoir émettre des emprunts à lots, faciliteraient à l’ouvrier l’acquisition et le paiement de ces demeures confortables, salubres et gaies[1]. » Les réformes dont nous parlons rentrent dans la catégorie des moyens de circulation, catégorie où, selon nous, peut le mieux s’exercer l’action de l’état.

La question des devoirs et droits de l’état est beaucoup plus difficile et plus sujette à contestation pour ce qui concerne la rente foncière rurale que pour la rente urbaine. Depuis Carey, beaucoup d’économistes vont même jusqu’à nier entièrement le phénomène de la rente agricole. C’est là, semble-t-il, une exagération. Il y a, d’ailleurs, dans cette question plus d’un malentendu à dissiper. Le phénomène de la rente ne dépend pas, comme on le croit d’ordinaire, de la question de savoir si ce sont les terres les plus fertiles ou les moins fertiles qui ont été les premières appropriées. Ricardo a mal présenté lui-même sa théorie, et ni Carey ni M. Leroy-Beau-

  1. « L’état et les grandes villes ont un crédit particulièrement élevé : ils empruntent à 3 fr. 60 pour 100. Ils pourraient mettre ce crédit à la disposition des sociétés qui veulent construire des maisons ouvrières. Ce serait diminuer d’autant le coût du loyer sans que les contribuables en souffrissent le moins du monde… Les lots sont une faveur que l’état a octroyée sans discernement ou par complaisance à des sociétés de spéculation ; il serait moral de réserver ce privilège aux sociétés qui s’interdisent absolument toute distribution de dividende au-delà d’un très mince intérêt, et qui se consacrent à une œuvre d’utilité sociale. » (Page 229, 235.)