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déterminer avec la précision d’un géomètre la sphère de l’état : les droits à sauvegarder sont généraux et l’action de la société ne peut être elle-même que générale ; elle s’exerce sur des masses et des moyennes ; elle est un système de balance et de compensation nécessairement variable. Soyons donc en garde contre les systèmes simples et absolus, contre les solutions que certains politiciens prétendent improviser « en un quart d’heure. » Notre objet principal, dans cette étude, est de poser des principes, non d’entrer dans le détail des applications ; il est cependant nécessaire d’indiquer en quel sens il nous semble légitime de tenter des réformes pratiques, par quelle méthode générale on pourrait remédier aux abus qu’entraîne le régime de la propriété.


III.


Nous devons d’abord passer en revue les principales causes d’accumulation des richesses, qui, selon les critiques du régime actuel, compromettent la liberté du grand nombre au profit des privilégiés. La première cause d’accumulation, — celle dont Stuart Mill s’est préoccupé à l’excès et dont se prévaut souvent aussi M. de Laveleye, — c’est le phénomène de la rente foncière ou de la plus-value. Selon Ricardo, cette plus-value accroît sans cesse la valeur des terrains, à la ville ou aux champs, sans nouveau travail des propriétaires. Par l’effet de la rente, le propriétaire, outre ce qui lui est légitimement dû pour son travail ou pour le loyer de ses capitaux, reçoit encore, d’après Ricardo et Stuart Mill, un bénéfice dû à deux causes extérieures : premièrement, la valeur intrinsèque et croissante de la terre ; secondement, la valeur nouvelle que les relations sociales apportent aux produits, soit par un surplus de demande, soit par un accroissement de population sur un point, soit par de nouveaux débouchés. On a calculé que chaque immigrant qui débarque dans le territoire des États-Unis augmente de quatre cents dollars environ la valeur de la terre : « Chaque enfant qui vient au monde produit absolument le même effet que l’immigrant qui met le pied sur le rivage américain ; par le seul fait de sa présence, il ajoute une plus-value de quelques centimes ou de quelques millésimes à chaque hectare de terre de son pays natal[1]. »

Le phénomène de la rente ou de la plus-value croissante est beaucoup plus frappant aujourd’hui pour la propriété foncière urbaine

  1. Voir une excellente étude de M. Charles Gide, sur la Propriété foncière, extraite du Journal des économistes. M. de Lavergne, dans son Économie rurale de l’Angleterre, estime la plus-value annuelle pour l’Angleterre à 1 pour 100 ; la valeur du sol doublerait par période de soixante-dix ans environ. En France, l’accroissement plus lent de la population ralentit celui de la plus-value.