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adieu les cellules individuelles ! tout s’écroule. » Le même principe qui peut fournir le fondement de la propriété en montre ainsi la borne nécessaire, de même qu’en géométrie le mouvement d’un cercle autour de son diamètre engendre et limite tout à la fois la sphère qui en dérive.


II.

Nous venons de voir que l’individualisme absolu a tort de ne pas reconnaître dans la propriété quelque chose de social en même temps que d’individuel ; maintenant, que faut-il penser des théories non moins absolues du socialisme ? Le socialisme, qu’on a pris pour une nouveauté, est au contraire une forme antique et encore barbare d’organisation. Les historiens récens, comme MM. Sumner Maine et de Laveleye, ont montré l’existence des institutions socialistes chez tous les peuples primitifs. Par là ils nous ont enlevé les idées trop étroites qui nous faisaient croire que le seul mode d’existence des sociétés est celui que nous voyons fonctionner autour de nous[1]. Mais il reste toujours à savoir si le socialisme est conforme à

  1. M. Sumner Maine, M. de Laveleye, M. Spencer, ont parfaitement montré l’évolution historique de la propriété. À l’origine, le désir de s’approprier une chose et de la garder pour soi est un instinct que l’homme partage avec les animaux eux-mêmes : un chien se bat pour défendre l’os qu’il a enterré ou les habits dont son maître lui a confié la garde Dans la lutte pour la vie, cet instinct fut une condition de supériorité et de « survivance, » comme dit Darwin. Il était conforme à l’intérêt des hommes, au lieu de se battre et de s’exterminer entre eux, de laisser à chacun la possession de ce que chacun aurait produit ou acquis par son travail. Aussi cette possession, pour les objets mobiliers, par exemple pour les produits de la chasse, fut-elle de tout temps reconnue. Il est bien probable aussi que la possession des cavernes et des gîtes fut à l’origine individuelle ou familiale. Mais le sol ne tarda pas à devenir une possession de tribu. Le territoire parcouru par les peuples chasseurs ou par les troupeaux des peuples pasteurs fut toujours considéré comme le domaine collectif de la tribu, qui, d’ailleurs, avait seule la force de le défendre. Même après que le régime agricole s’est établi, le territoire que la tribu occupe demeure encore souvent sa propriété indivise : on cultive en commun la terre arable comme on exploite en commun le pâturage ou la forêt. Plus tard, la terre cultivée est divisée en lots, qu’on répartit par la voie du sort entre les familles. On attribue aux individus l’usage temporaire, mais le fonds continue de rester le domaine collectif de la tribu ou de la commune, à qui il fait retour après un temps afin qu’on puisse procédera un nouveau partage. C’est, comme on sait, le système aujourd’hui en vigueur sous le nom de mir dans les communes russes, sous le nom d’almend dans les cantons forestiers de la Suisse. (Voir, outre le livre de M. de Laveleye, celui de M. Mackensie Wallace sur la Russie. Sur les organisations analogues de l’Inde, voir Sumner Maine, Villages Communities East and West.) D’après Meyer, l’hébreu n’a pas de mot pour exprimer la propriété fondera privée. (Die Rechte der Israeliten, Athener und Rœmer, I, 362.) Quoique M. de Laveleye ait exagéré sa thèse pour ce qui concerne la Grèce, comme l’a montré M. Fustel de Coulanges, il faut cependant reconnaître que, dans ce pays, une grande partie du territoire appartenait encore à l’état et le reste demeurait soumis à son pouvoir