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fussent qu’un piège tendu par l’intérêt et l’ambition, comme sembleraient, d’ailleurs, l’indiquer les bruits calomnieux répandus en Espagne sur le grand-duc par les agens vénitiens.

A la lecture de ce beau document, le sénat sourit d’abord, puis il répondit qu’en affaires de famille, c’était à la mère de prononcer, et qu’ici, la république de Venise étant la mère, elle entendait user de son pouvoir discrétionnaire vis-à-vis de ses enfans. Toujours est-il que le mariage n’eut pas lieu ; mais à peine cet échec du duc de Ferrare avait-il aplani la situation qu’un nouvel incident ramenait le désaccord. Les galères de l’ordre de Saint-Etienne ayant capturé un navire vénitien, plaintes en furent portées à Florence, qui, résolue, arrogante, cette fois, ne concéda rien et renvoya les plénipotentiaires vénitiens après force récriminations sans leur permettre de discuter ses droits sur le navire saisi. Tracas au dehors, que des tracas domestiques allaient suivre.

Le cardinal, tout en vivant de bonne intelligence avec Bianca, ne la perdait pas de vue un seul instant. A diverses reprises, le bruit avait couru que la grande-duchesse était grosse, et si don Ferdinand n’en avait eu cure, c’est que son neveu, don Philippe, était de ce monde; mais lorsque, en 1582, mourut le jeune prince, l’heure sonna de la circonspection et des mesures pour empêcher la Vénitienne de gouverner à son gré l’accroissement de la famille grand-ducale. Il importait aux besoins du moment que son frère, don Pier’ de Médicis, revînt d’Espagne et se mariât. Le cardinal lui dépêcha lettre sur lettre, mais, soit indifférence de caractère, soit ennui de retrouver ses frères, qu’il préférait chérir de loin, le général de Philippe II ne se laissa point convaincre. Rebuté dans ses instances, le cardinal eut l’idée de jeter aux orties la pourpre et de se marier au profit de la dynastie, idée sérieuse d’autant plus qu’il s’apercevait que l’influence de Bianca contrariait le retour de don Pier’. D’elle tout était à craindre, et son anxiété redoubla quand, en 1583, le grand-duc, au mépris des remontrances de son conseil, légitima don Antonio. Comme si tant de richesses et de biens de proscrits dont il l’avait comblé ne suffisaient pas, François venait encore d’obtenir pour lui du roi d’Espagne le titre de duc de Capestrano et la charge de son légat en Italie. Il avait des gardes, une cour, plusieurs déjà le saluaient du nom d’héritier présomptif, et toute cette nouvelle intrigue était l’œuvre de la grande-duchesse. Bianca s’apercevait des secrètes révoltes du cardinal, mais, trop habile pour trahir le moindre soupçon, elle ne s’évertuait que davantage à le charmer; docile, empressée, caressante, personne d’ordre et de famille, s’employant aux détails intérieurs et forçant la reconnaissance juste au moment que les colères menaçaient d’éclater.