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honorer en cette vertueuse dame l’auguste fille de Votre Sérénissime République. Par là je deviendrai moi-même votre fils, et mon obéissance comme mon dévoûment vous seront acquis en toute occurrence. De quoi cette lettre n’étant point seule à vous instruire, le seigneur Sforza, général démon infanterie et mon ambassadeur, vous expliquera le détail de mes intentions. »

À ce message se trouvait joint celui de Bianca, dont voici les termes :

« Votre Altesse sait maintenant qu’il a plu à Dieu de faire de moi la femme du grand-duc, et ce bonheur qui dépasse de beaucoup ma condition me réjouit surtout parce que le prince que le ciel me donne pour mari aime la République comme s’il en était l’enfant et se propose de lui consacrer toutes ses forces et jusqu’à sa vie. Me rendre utile à ma patrie a toujours été le but de mon ambition, je veux aujourd’hui la servir dans la mesure de mes facultés. Mon mariage avec le grand-duc, loin de me dégager des liens qui m’attachent à la République, n’aura fait au contraire que les resserrer. Elle verra quelle fille elle se sera choisie en moi. Je lui promets de reconnaître ses bontés et dans la personne de Votre Altesse et dans chaque membre de l’état; trop heureuse de me dévouer corps et âme à sa grandeur et de suivre en tout point l’exemple de mes ancêtres, auquel mon père et mon frère n’ont jamais failli. »

Le 18 juin, par décret du sénat porté à l’unanimité, Bianca Capello fut déclarée : « vraie et particulièrement fille de la République en considération des éclatantes et singulières qualités qui la rendent digne de la plus haute fortune. » Et le sénat ajoutait dans cet acte qu’il s’empressait de reconnaître Bianca « pour répondre à l’estime que le grand-duc paraissait faire de l’état vénitien en prenant la sage résolution d’épouser cette dame. » Les cloches de Saint-Marc sonnèrent, on tira le canon, le soir tous les palais s’illuminèrent; le père, le frère de la nouvelle fille de la république furent créés chevaliers; pendant un mois, Vénitiens et Florentins fraternisèrent, puis Sforza revint à Florence, tout chargé d’honneurs et de présens, et remit au grand-duc cette lettre du doge qu’on fera bien de méditer à cause de l’idée politique qui s’y dérobe sous le style de chancellerie.

« Nous avons appris par votre lettre et par la bouche du seigneur Mario Sforza, votre ambassadeur, que vous aviez pris pour femme la signora Bianca Capello, de famille patricienne, et que ses précieuses qualités désignaient au choix d’un grand prince comme au gouvernement d’un peuple. Cet insigne témoignage de bon vouloir et d’attachement pour notre République nous remplit de joie, et non contens d’avoir exprimé là-dessus nos sentimens à votre ambassadeur, non contens de lui avoir marqué notre joie par