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sommes Vénitiennes, puis reines et grandes-duchesses. » A Rome, à Milan, à Ferrare, une « fille de la république » avait le pas sur les princesses italiennes. François chargea son résident Abbioso de pressentir la seigneurie, et, les négociations ayant abouti, le général Mario Sforza vint à la tête d’une ambassade annoncer en grande pompe à Venise le mariage du grand-duc avec Bianca Capello, et réclamer en sa faveur l’illustre titre.

Celle qui jadis, si on l’eût arrêtée au moment de son évasion avec Buonaventuri, aurait subi les derniers châtimens, voyait aujourd’hui les honneurs se hâter au-devant d’elle ; Venise tout entière l’acclamait, certaine que ce titre fameux dont on la décorait doterait sa fille d’une couronne qu’on exploiterait en son nom. Ainsi procèdent les événemens, presque toujours par engrenage. François, le deuil de l’archiduchesse étant fini, n’avait d’abord pensé qu’à une déclaration de son mariage jusque alors tenu secret, et déjà, la direction du mouvement lui échappait; il réussissait trop. Ce qu’il avait demandé connue une simple excuse à glisser dans sa lettre de faire part aux souverains, Venise s’empressait de l’accorder comme un gage. Que dire aussi de ce père et de ces parens si radicalement convertis désormais ! ce père qui l’avait tant maudite et qui maintenant illuminait son palais en attendant de se joindre à l’ambassade qu’à son tour la seigneurie enverrait à Florence ! O Brabantio, suprême exemple de la dignité paternelle outragée, faudra-t-il donc croire que, le cas échéant, toi-même aurais aussi passé la robe de fête par- dessus tes colères? Mieux vaut alors que ta Desdémona soit morte et que tu n’aies eu à pardonner qu’à son ombre !

Le 15 juin 1579, l’audience eut lieu chez le doge, à qui le général Sforza remit solennellement deux lettres, l’une du grand-duc, l’autre de Bianca Capello. Commençons par celle du grand-duc:

« Pénétré des sentimens que Votre Sage République n’a cessé de nous témoigner tant à moi qu’à mes ancêtres, je me suis fait un devoir de ne point perdre une occasion de lui en exprimer ma reconnaissance et l’avenir prouvera mieux encore combien je m’intéresse à sa grandeur. Un an déjà s’est écoulé depuis qu’il a plu au Tout-Puissant de m’enlever la grande-duchesse mon épouse et l’avenir de ma postérité ne repose que sur un fils unique. J’ai donc résolu, pour obvier aux circonstances, de recourir à de secondes noces. Libre, comme je l’étais, de choisir parmi des maisons royales et princières, j’ai préféré m’allier avec Votre Sérénissime République afin que notre amitié en soit consolidée davantage, et j’espère que Votre Altesse l’aura pour agréable. Je l’informe ainsi par les présentes, qu’avec l’aide de Dieu, j’ai pris pour femme la signera Bianca Capello. La noblesse de son caractère, l’ancienneté de sa race, ses vertus, l’ont rendue digne de votre adoption, et mon vœu le plus cher est de pouvoir