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à désirer, car neuf mois plus tard (1679), Jeanne d’Autriche donnait aux Médicis un héritier légitime, le prince don Philippe, L’épouse n’allait-elle pas l’emporter sur la courtisane? N’était-ce point le moment d’arracher, de rejeter loin de soi l’arbre stérile qui ne savait pousser que des fruits postiches? On le croyait partout, et Bianca Capello se le tint pour dit.

Elle quitta Florence et se retira à sa villa d’abord, ensuite à Bologne. Mais cet exil tout volontaire ne tarda point à justifier les habiles calculs de la favorite. François comprit bientôt qu’il ne pouvait se passer d’elle; ni l’apaisement de l’opinion, ni les rapports d’amitié rétablis avec la cour d’Autriche, ni même la satisfaction d’avoir désormais pour sa couronne un héritier de bon aloi ne prévalurent contre d’irrémédiables répugnances. Cette vie de contrainte et d’ennui près d’une personne sans charme et sans esprit le rendait lugubre. Il comparait les deux intérieurs et n’en regrettait que davantage celui qu’il n’avait plus. De son côté, Bianca ne laissait pas de réfléchir; au bout d’un certain temps, le bruit courut qu’elle était rentrée à Florence, mais pour s’y consacrer au repentir. L’intention fut généralement approuvée et plut surtout à la grande-duchesse, qui sentit son cœur s’emplir d’une douce compassion. L’illusion, à la vérité, dura peu. Rencontrant un jour à la promenade la favorite au bras de son mari : « C’est donc ainsi, dit-elle à Bianca, que vous reconnaissez mon indulgence? Tenez, vous n’êtes qu’une infâme, et la justice de Dieu me vengera. » Cette apostrophe fut cause, à ce qu’on raconte, de la mort de la grande-duchesse. Les livres de sorcellerie ont ainsi des histoires de balles qui ricochent; toujours est-il que la mort de la princesse Jeanne suivit de près cette algarade. Quelques-uns prétendent que son mari l’empoisonna : bruit absurde; la princesse était alors sous le coup d’une nouvelle et pénible grossesse, et ce dernier affront fait en public amena l’accident qui la tua. Jeanne mourut en couches, les yeux fixés sur son mari et le dévorant encore de toutes les flammes dont elle n’avait cessé de brûler pour lui. « Il n’y a point de remède à mon mal, lui dit-elle ; d’ailleurs je suis heureuse de mourir. Je vous recommande mes enfans et tous ceux qui m’ont suivie de la cour de mon père; quant à vous, au nom du ciel, vivez plus chrétiennement que vous n’avez fait jusqu’aujourd’hui et souvenez-vous toujours que j’ai été votre seule épouse devant Dieu et devant les hommes et que je vous ai tendrement aimé. »

S’il s’en souvint, l’indigne époux ne s’en souvint guère, car on le vit aux obsèques de sa femme soulever sa cape de deuil en passant devant la maison de Bianca et saluer du regard sa maîtresse assise au balcon ; puis, aussitôt la cérémonie terminée, retourner chez elle, s’y installer.