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sur deux lèvres de pourpre, un rayon de soleil éclairant l’ogive d’une fenêtre, et votre enchantement n’a plus de cesse. Or il advint qu’un jour François de Médicis, rentrant à cheval de sa promenade du matin, eut une apparition ; comme il passait devant une maison de la place Saint-Marc, un rideau s’entr’ouvrit, puis se referma : deux éclairs, un corps de déesse, la Vénus de Titien, surprise au sortir du bain et voilant sa nudité sous les plis rassemblés du lampas! Notons que cette espèce de fulguration sidérale s’était annoncée par la chute d’une fleur destinée sans doute à conduire l’attention du passant où l’on voulait qu’elle se dirigeât, et François n’avait que vingt-deux ans, l’âge des amours romanesques. Se refusant à voir dans cette fleur tombée à ses pieds un simple accident du hasard, il crut à une avance et se promit d’en profiter si celle qui la lui avait faite en valait la peine. Le Médicis devinait bien, sans connaître à quel point le caractère de Bianca et la situation où elle se débattait en ce moment justifiaient sa conjecture. Les lois de Venise la poursuivaient, le sénat réclamait son extradition et, pendant ce temps les ressources pécuniaires allaient diminuant chaque jour; seul un protecteur puissant était capable de la tirer d’un pas si difficile et très savamment elle avait choisi le jeune prince. Restait à piquer son imagination, elle emprunta le stratagème de la nymphe antique moyen habile et sûr avec un seigneur de la race des Médicis. Bianca pouvait désormais dormir tranquille, elle avait gagné son procès

A dater de ce moment, l’intérêt se corse. Le marquis de Mondragone raconte à sa femme tout ce qui vient de se passer entre lui et le jeune prince et lui fait sentir le profit et la faveur qu’ils peuvent tirer d’une pareille intrigue. Aussitôt la Mondragone se met en campagne; elle trouve un prétexte pour s’introduire près des bonnes gens avec lesquels vivait Bianca et dont la société commençait à lui paraître fort lourde, comparée à la société que la noble fille du seigneur Capello voyait chez son père. L’entremetteuse interroge, insinue, feint la compassion et promet de parler au prince. En attendant, elle a soin de caresser ce besoin d’imprévu dont elle s’aperçoit que cette âme ardente est travaillée. Un matin, elle envoie son carrosse avec une de ses plus belles robes; la vieille Buonaventuri, folle d’orgueil, y monte accompagnant sa bru. Arrivées au palais Mondragone, situé aux environs de Sainte-Marie-Majeure, les deux femmes sont accueillies par la marquise, on se promène dans les jardins, on s’assied sous les arbres, où la collation est servie, et tandis que la bonne vieille s’attarde à son biscuit trempé de vin de Syracuse : « Il faut que le vous fasse voir ma maison dans tous ses détails, » dit la Mondragone emmenant Bianca. Elles traversent une multitude de chambres et s’arrêtent enfin dans un délicieux petit réduit, La marquise tire