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démesurées, des emprunts abusifs, des prodigalités imprévoyantes. À défaut des votes, il a multiplié les avertissemens, et ses belles, ses fortes et lumineuses discussions n’ont pas peu contribué, dans ces derniers temps, à dévoiler le mal, à éclairer le gouvernement lui-même. Son rôle a été, certes, des plus utiles, et s’il n’a pas été plus complètement efficace, c’est qu’on n’a pas voulu écouter les voix indépendantes qui ont si souvent retenu au Luxembourg, Entre ces deux assemblées qui ont eu un rôle si différent dans nos affaires, quelle est pourtant aujourd’hui celle qui se trouve menacée dans ses droits, dont on propose de réduire d’une façon plus ou moins directe les attributions financières ? Vous penserez peut-être que c’est celle qui s’est associée à toutes les imprévoyances, qui a contribué à compromettre nos finances ? Point du tout, c’est l’assemblée qui a inutilement averti. Celle-là, il faut se hâter de l’atteindre par une sage réforme dans son autorité, — et c’est assurément là ce qu’on peut appeler une révision bien entendue dans l’intérêt de la république ! M. le président du conseil n’a qu’à y bien réfléchir : il croit peut-être rester un politique très modéré, parce qu’il propose de limiter le pouvoir du sénat au lieu de le détruire, et il accomplit tout simplement une des œuvres les plus meurtrières pour le régime qu’il prétend servir.

Dangereuse par l’atteinte dont elle menace le sénat dans sa prérogative la plus utile, cette révision est, en vérité, assez vaine sur un autre point. M. le président du conseil imagine de mettre en sûreté la république en limitant pour l’avenir le droit de révision inscrit dans la constitution, en proposant au congrès de décider que désormais on ne pourra plus toucher à la forme républicaine du gouvernement. Voilà qui est au mieux : et après ? Est-ce que M. Jules Ferry peut empêcher la presse d’agiter sans cesse toutes ces questions de révision, de république et de monarchie ? Est-ce qu’il peut enchaîner d’avance la volonté des futurs congrès et leur interdire de faire ce que d’autres ont fait, ce qu’on se dispose à faire aujourd’hui ? La précaution que veut prendre M. le président du conseil peut être fort honnête, elle est aussi bien inutile, parce qu’il ne suffit pas, pour faire vivre un régime, de le consacrer à jamais par un article de constitution ou même de le couler en bronze sur les places publiques. Notre temps a vu passer bien des régimes qui pensaient être à l’abri des révisions. Ils se sont succédé, ils se sont tous crus définitifs, éternels, et, selon le mot si juste, si fin, si sensé de M. Thiers, ils ont été à peine durables. Si M. le président du conseil veut servir la république et lui donner, sinon l’éternité, du moins une vie raisonnable, il n’a qu’une manière, c’est de lui assurer une bonne politique ; c’est d’arrêter, s’il le peut, ce torrent d’idées chimériques et fausses qui menacent de tout détruire, et l’armée, et l’enseignement. et les finances, — sous prétexte de tout réformer à la mode démocratique.