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Tels sont ceux-ci, quand il écoute son sang bourdonner confusément dans ses veines :


Que de clameurs à la fois !
Ce sont les milliers de voix
Qu’eurent mes milliers d’ancêtres.
Les cris de guerre et d’amour,
Qu’ils ont poussés tour à tour
Dans la bataille des êtres.

Chaque atome a ramassé
Un souvenir du passé
Qu’il roule à travers les âges.
Et ces échos clandestins
Résonnent dans m s destins
Qu’ils règlent de leurs présages.


C’est toujours un peu dur, et c’est toujours un peu prosaïque; aussi préfèrerais-je à ce prologue de la Chanson du sang la pièce intitulée : les Nomades, dont quelques strophes se déroulent d’une assez belle et poétique allure.


Avant les Aryas, laboureurs de la terre,
Qui la firent germer sous leurs lourdes sueurs,
Et qui mirent des dieux dans le ciel solitaire,
Vivaient les Touraniens, nomades et tueurs.

Ils allaient, pillant tout, le temps comme l’espace.
Sans regretter hier, sans penser à demain.
N’estimant rien de bon que le moment qui passe,
Et dont on peut jouir quand on l’a dans la main.


Malheureusement, nous l’avons dit, quelques beaux vers égarés parmi la foule des autres ne suffisent pas à la fortune littéraire d’un poème. Il est d’ailleurs à craindre que le public, non pas précisément effarouché par les blasphèmes de M. Richepin, mais plutôt agacé de ses prétentions, ne prenne la Chanson du sang par ce qu’elle a de plus réjouissant, en somme, que farouche, et n’y trouve peut-être moins à s’étonner qu’à s’égayer. Et c’est ainsi qu’une fois de plus, M. Jean Richepin se sera battu les flancs, jusqu’à se les meurtrir... pour manquer finalement son effet. On n’est pas moins favorisé des Dieux, et je commence à comprendre que M. Richepin les blasphème.

Mais aussi c’est sa faute; car quelle rage a-t-il de jouer un rôle pour lequel il n’est pas fait, comme la supériorité de sa Chanson des Gueux sur ses Blasphèmes nous le prouve surabondamment? Ce pessimiste, en cela semblable à la plupart des pessimistes, aime la vie, la trouve bonne, et, quand le moment en viendra, sera plus fâché peut-être que bien des bourgeois d’en sortir. Or, c’était cette joie de vivre, étalée franchement, largement, audacieusement, — avec des termes plus crus et dans des tableaux plus vivans qu’il n’était utile, — qui