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régime de l’internat. Mais l’École normale est en contact intime avec les facultés ; la section des sciences, fidèle à l’esprit de l’institution, a des conférences et des laboratoires, mais elle reçoit l’enseignement de la faculté des sciences; la section des lettres s’est organisée comme une faculté, mais aujourd’hui elle se recrute en partie à la faculté des lettres : elle reçoit de la Sorbonne quelques élèves qui ont été, pendant une ou même deux années, étudians et qui ont conquis leur diplôme de licenciés; les élèves de troisième année suivent les cours de la faculté, où ils prennent part à des exercices préparatoires à l’agrégation. Enfin, l’École normale n’a pas d’autres examens ni d’autres diplômes que les examens et les diplômes publics. Elle sort de chez elle pour aller disputer à tout venant le grade de licencié ou le titre d’agrégé. L’excellence de son recrutement en fait une rivale redoutable, et la concurrence, de plus en plus vive, que lui feront les élèves des facultés stimulera son travail. Il n’en est pas de même de l’École polytechnique; celle-ci, antérieure à l’organisation de l’enseignement supérieur, est une véritable faculté des sciences ; entre le lycée et les écoles techniques des ponts et chaussées et des mines, elle donne un enseignement scientifique analogue de tous points à celui de cette faculté. Elle fait littéralement double emploi, et, de plus, elle garde un monopole auquel elle n’a aucun droit : elle seule fournit au recrutement du haut personnel des ponts et chaussées et des mines. Il faut avoir le courage de le dire : cette grande école fait beaucoup de mal. Il n’est presque pas de bourgeois en France qui ne rêve de voir un jour son fils coiffé du tricorne et portant au côté l’épée du polytechnicien. La limite d’âge indiquée pour l’entrée devient la règle des études d’une foule d’écoliers; on les entraîne, on les surmène. Le ministère de l’instruction publique est sollicité d’accorder des dispenses à des enfans de quinze ans qui demandent à se présenter au baccalauréat, afin d’avoir plus de temps devant eux pour préparer le grand examen. L’extrême fatigue que s’imposent ces jeunes intelligences est funeste à tous, mortelle à quelques-uns. Dans ce grand nombre des appelés, beaucoup ne sont pas élus, qui se voient exclus à vingt ans et pour jamais des carrières auxquelles ils se destinaient. Parmi les admis, ceux qui renoncent à disputer les rangs qui assurent un emploi civil se découragent ; ils acceptent comme un pis-aller la carrière militaire; les moins résignés essaient de s’y soustraire, et se tournent les uns vers l’industrie, les autres vers l’Université, ceux-ci au prix de nouveaux efforts et après avoir conquis les grades nécessaires. Et pendant que l’école privilégiée demeure la cause de ces désordres, les facultés des sciences sont privées d’une grande partie de leurs élèves naturels. Mettre l’École polytechnique, en attendant qu’elle devienne une école purement militaire, dans la