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volutions du cerveau se replient sur elles-mêmes et arrivent à former l’organe de la pensée, les diverses sciences doivent se rapprocher en un seul faisceau qu’on nomme les facultés, lesquelles se resserrent dans l’université pour former le grand organe de la science collective et nationale. »

Le père Didon nous montre aussi comment les universités allemandes sont à la fois libres et organisées. Point de programme : liberté de la science, liberté des méthodes, liberté pour le professeur, liberté pour l’étudiant, Lehrfreiheit et Lernfreiheit ; mais l’anarchie n’est pas à craindre : les universités soumettent cette liberté aux règles d’une harmonie supérieure. Les professeurs, vivant sous le même toit, se connaissent, et dans les conseils des facultés, présidés par le doyen élu, dans le sénat de l’université, présidé par le recteur également élu, ils exercent en commun la discipline intellectuelle et morale de la corporation des maîtres et des étudians. Quant à ceux-ci, ils se connaissent comme les maîtres : théologiens, juristes, médecins, philologues se mêlent dans les salles de cours et dans des fêtes, où ils échangent, avec de gais propos et des chansons, des idées qui enrichissent le savoir de chacun. L’université élargit donc l’esprit de la jeunesse ; par la culture générale qu’elle donne, elle prépare aux tâches diverses les intelligences de ceux qui dirigeront bientôt les destinées de l’Allemagne. Mais cette culture générale est en même temps une culture nationale. L’éducation patriotique, commencée à l’école, poursuivie au gymnase, s’achève à l’université ; le jeune homme y apprend à connaître le génie de sa race ; il se nourrit de la pensée des ancêtres : histoire, littérature, philosophie, théologie même et philologie sont employées à glorifier la vie allemande, l’esprit allemand. Aussi cette martiale jeunesse des universités confond-elle dans son cœur le culte de la science et celui de la patrie.

Nous croyons avoir rendu avec fidélité le sentiment que le spectacle de la vie universitaire a fait éprouver au père Didon ; mais n’est-il pas vrai que la splendeur même de la description qu’il en donne met en défiance et qu’on ne peut se retenir de douter qu’il existe encore, à la fin de notre XIXe siècle si affairé, de grandes communautés intellectuelles où l’étudiant soit une sorte de philosophe, occupé, non pas du métier qu’il faudra faire, mais de cultiver son esprit ; dédaigneux des connaissances pratiques et passionné pour la science universelle dont ses maîtres sont les serviteurs et les pontifes ? Le père Didon n’a-t-il pas été trompé par l’apparence ? Car il faut, en Allemagne, se défier de l’apparence ; il n’est peut-être pas de pays au monde où l’on souffre aussi aisément la contradiction entre la théorie et la pratique. Les Allemands ont accordé à