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gares ; son titre seul vous est agréable à apercevoir, et avec un journal on regrette moins les absens. C’est là, je crois, son meilleur éloge.

L’influence du journal sur l’esprit n’est pas aussi grande qu’on pourrait le craindre. Si on lisait toujours le même journal, il est possible qu’à la longue, étant donné que le journal soit assez convaincu pour dire toujours la même chose, il exerçât sur l’esprit de l’abonné une influence profonde. Mais le public lit tant de journaux de nuances si diverses qu’on finit par être de tous les groupes politiques, ce qui est, du reste, infiniment commode lorsque les ministères changent.

Quoi qu’il en soit, les journaux répondent à un besoin. Telle que la société est organisée, il est devenu nécessaire d’utiliser tous les moyens de transmission de la pensée qui sont à sa disposition pour lui redire tous les bruits de la terre. Le journal dit généralement ce qui se passe lorsqu’il est très bien informé ; il ne dit que cela. Quelquefois il se risque à dire ce qui ne se passe pas, mais sous toutes réserves ; ce serait la seule chose intéressante, et, le lendemain, elle est démentie. À part cela, le journal a des articles d’opinion que les lecteurs de la même opinion approuvent très haut ; mais je me suis laissé dire qu’on n’avait jamais vu, — sauf en province peut-être, — des convertis du journalisme.

On ne peut pas dire cependant des journaux qu’ils prêchent dans le désert, mais dans le public, — ce qui est un peu de l’essence du désert, — ce monde mouvant, tantôt plaine, tantôt montagne, où rien n’est stable et rien ne vit, où les oasis ne sont que des mirages et qui ne semble exister que par le bruit des tempêtes qui soulèvent ses vagues de sable.

C’est en effet un monde insaisissable, capricieux. Ce qui lui plaît aujourd’hui lui déplaît demain ; il n’est jamais satisfait. Regardez ces affolés se précipiter à toute heure du jour sur les journaux : ils en lisent dix, vingt, — avec le même air impassible, — et vous les entendez toujours gémir : Il n’y a rien dans les journaux ! On attend le soir : rien ! le lendemain : rien encore ! Arrive enfin une nouvelle : tout le monde la sait avant le journal !

Quant aux articles sérieux, il paraît qu’on ne les lit jamais. Ils sont cependant toujours très bien faits ; mais ils n’ont d’intérêt que pour leurs auteurs, qui les lisent vingt fois, qui les relisent aux amis qui ont la bonne fortune de les rencontrer, sans jamais se lasser. Pour comprendre cet enthousiasme, il faut avoir vu son article imprimé à la première colonne et le voir entre les mains de quelqu’un de ce grand public ; voir qu’on le lit ; suivre avidement la pensée de cet ami inconnu… On l’embrasserait si on l’osait ; on lui