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à sa Matinée à Dordrecht. En montrant les brouillards de l’aube transpercés par la lumière pâle du soleil levant, M. Iwill a représenté au naturel le combat symbolique des mythes solaires : le dieu perçant de ses flèches d’or les monstres qui obscurcissent son éclat, Ahi, Python, les Titans, les Stymphalides. « Je chanterai la victoire d’Indra, disent les Védas, celle qu’hier a remportée l’archer. Il a vaincu Ahi, il a frappé le premier né des nuages. » La Nuit au désert, de M. Gérôme, le Jardin, fleuri de pavots, de M. Demont, les Genêts en fleurs, de M. Décanis, la Cour de ferme, tout ensoleillée, de M. Gagliardini, les Environs de Jumièges, grande vue panoramatique, de M. Binet, le vieux Moulin et la vieille Église, — le pain du corps et le pain de l’âme, — de M. Émile Breton, la Colline de Provence, embrasée et pulvérulente, de M. Montenard, vaudraient bien qu’on s’y arrêtât. Mais le temps nous est limité ; il nous faut abandonner la description, si sommaire qu’elle soit, pour la simple nomenclature, et citer au passage les paysages et les marines de MM. Harpignies, Hannoteau, de Knyff, Mesdag, Ségé, Péraine, Vauthier, Camille Bernier, Karl Daubigny, Tristan Lacroix, Defaux et Pointelin. Le tableau de ce dernier est divisé en trois parties presque égales et se compose tout uniment d’une bande de terrain, d’une bande de forêt, d’une bande de ciel. Ce n’est rien, mais l’effet est prestigieux.

Rians ou sévères, calmes ou tourmentés, inspirant des sentimens et donnant des sensations, les paysages ont leur expression. Au contraire, les natures mortes, les fleurs, les fruits, fussent-ils peints par Philippe Rousseau, par Mme Muraton, par MM. Claude, Cesbron, Jean Benner, n’ont d’autre intérêt que l’art de l’exécution, le ragoût de la couleur, l’illusion du trompe-l’œil. Les animaliers ont l’avantage de peindre le mouvement et la vie et de marquer sur la face des bêtes des expressions où l’humanité se retrouve. C’est ainsi que M. Barillot dans le Préféré, M. Julien Dupré dans la Prairie, M. de Thoren dans le Labour, M. Wertheimer dans le Déjeuner du lion, M. Borchard dans le Garde-chasse, M. Schenck dans les Moutons surpris par la neige, ne s’inquiètent pas seulement de préciser les formes des animaux et de saisir leurs attitudes, ils s’efforcent aussi de bien exprimer leurs physionomies. M. Schenck exagère cependant quand il nous montre cette assemblée de dindons qui, pâmés de plaisir, l’œil mi-clos, déchiffrent une partition en faisant des mines à mourir de rire. Ce n’est plus l’esprit des bêtes, c’est de l’esprit sur les bêtes.


V.

Des deux beaux portraits de femmes exposés par M. Cabanel, on ne saurait décider lequel l’emporte. Peinte en buste, assise et