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M. Armand Dumaresq, avec la Lecture de l’Annuaire, et M. Détaille, avec une esquisse très poussée pour le panorama de la bataille de Rézonville. C’est le soir du combat ; le feu est au moment de cesser; Allemands et Français vont coucher sur les positions où ils ont combattu toute la journée. On ne voit pas le champ de bataille, qui est caché par les maisons de Rézonville, en arrière desquelles se tiennent les réserves de la garde et l’état-major du 6e corps. Les grenadiers en ligne, prêts à se porter au feu, les batteries d’artillerie n’attendant qu’un signal pour se mettre en mouvement, les sapeurs du génie pratiquant une brèche dans un mur de jardin, les généraux qui passent à la tête de leur état-major, les officiers d’ordonnance qui galopent ventre à terre, les convois de blessés rapportés sur des cacolets, les colonnes de prisonniers menés par des dragons, pistolet au poing, puis, à l’extrême gauche, les voitures d’ambulance où flotte le drapeau de Genève, les caissons de munitions, les cavaliers d’escorte et les gendarmes de la prévôté emplissent et animent ce qu’on pourrait appeler la coulisse du champ de bataille. Ce tableau est des plus intéressans, — des plus amusans, dirions-nous, — si cette expression n’était déplacée en parlant d’une scène où se trouvent des morts et des agonisans tombés pour le drapeau.


IV.

Le grand tableau de Me Benjamin Constant, les Chérifas, compte au nombre des œuvres capitales du Salon. C’est le harem d’un chérif marocain. La pièce baigne dans la pénombre, éclairée seulement par une étroite lucarne d’où convergent deux rayons de soleil qui viennent s’épanouir en taches lumineuses sur la paroi tendue jusqu’à hauteur d’appui d’une étoffe brochée d’or. Un large divan, dont le tissu rouge pâle disparaît presque sous les coussins, les peaux de lions et les housses de broderie bossuées de pierres cabochons, garnit tout le fond de la chambre. Quatre femmes se tiennent sur ce divan. L’une, une négresse richement vêtue et assise à la turque, sommeille vaguement, les yeux fixes et vides de pensée. Les autres femmes, moresques et berbères, sont nues ou demi-nues; celle-ci, étendue tout de son long, dort profondément ; celle-là, renversée dans une altitude alanguie, les yeux ouverts, le regard noyé, semble continuer le rêve du kif. La quatrième est une fillette de quinze ans, brune de peau, noire de cheveux, étroite de hanches, les seins petits et les cuisses maigres. Elle vient de s’éveiller; les paupières à demi fermées, elle se soulève avec effort de dessus les coussins, et, le buste raidi, les bras collés au corps, elle s’étire comme l’animal qui a trop dormi. L’observation,