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sur un divan une grosse femme toute frémissante de vie, mais abominablement commune. Aussi bien, M. Capdevielle s’adonne généralement aux vulgarités du réalisme; c’est se mal préparer à peindre l’idéal féminin.

Regardez, jeunes filles et jeunes femmes, folles de plaisirs mondains, passionnées pour les bals et les spectacles, zélées danseuses des valses de Strauss et des cotillons sans fin, et vous aussi, pères raisonneurs et maris égoïstes qui prêchez les joies tranquilles du coin du feu, regardez le tableau de M. Pinta : les Filles de Minée. Tandis que toutes les femmes d’Orchomène prennent part aux fêtes de Bacchus, courant, parées de fleurs et la gorge au vent, les montagnes et les vallées, tournant des rondes emportées au son des flûtes et des tambourins, les trois filles du roi, inspirées de l’esprit de Minerve, gardent sagement la maison et filent de la laine. Bacchus leur apparaît sous la figure d’une jeune fille et les exhorte à se mêler aux bacchanales. Comme Alcithoè et ses deux sœurs s’y refusent, le dieu irrité les change en chauves-souris. La morale de cette fable est qu’il faut laisser les femmes danser le cotillon. Le tableau de M. Pinta n’est point excellent, mais plus d’une belle dame lui voterait une médaille pour l’enseignement qu’il porte en soi.


II.

Il semble qu’il y ait cette année comme une renaissance de la peinture religieuse. Le retour à cet art, sérieux et difficile entre tous, en un temps où les scènes de la vie de tous les jours attirent surtout la curiosité du public et où le gouvernement ne paraît pas disposé à encourager la multiplication des images divines, honore les artistes. En choisissant ces sujets, ils montrent du dédain pour les succès obtenus à peu de peine, de l’indépendance, et du désintéressement. Il faut reconnaître d’ailleurs que l’administration des Beaux-Arts a fait preuve de goût et acte de bon goût en achetant pour le compte de l’état le Christ au tombeau, de M. Henner.

C’est un panneau de six pieds de long sur un pied et demi de large, où la figure, couchée de profil, a tout juste la place de tenir. Ce cadre, en forme de cercueil, que Holbein a employé un des premiers pour son Christ de Bâle, concourt à l’impression saisissante du sujet. On voit l’homme muré dans la tombe. Le cadavre du Sauveur ressort sur les teintes bitumineuses du fond et sur le linceul qui couvre la dalle inférieure du sépulcre. D’un blanc bistré dans les demi-teintes très transparentes, et d’un blanc vif dans la lumière, ce corps nu est exsangue sans être livide, et malgré sa rigidité d’un effet si tragique, il garde beaucoup de morbidesse à l’intérieur