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Le paysage n’a point le caractère grandiose et austère du Bois sacré. Au lieu de ces escarpemens rocheux qui semblent une barrière entre le monde idéal et l’humanité, M. Collin a ébauché d’un pinceau flou une lisière de bois sans forme déterminée, comme on en voit au fond de tant de tableaux. Au lieu de chercher les figures dans la sévérité et la noblesse des lignes, il les a cherchées dans le naturel et dans la grâce. Nous reconnaissons qu’il y a réussi. Le coloris, bien que fidèle aux tonalités mates de la fresque et à l’éclairage égal du plein air, a néanmoins de la vivacité et surtout beaucoup de lumière. Le modelé des nus est suffisamment poussé pour un panneau décoratif, et les nymphes sont certainement plus vivantes que les Muses du Bois sacré. Mais en art il n’y a pas seulement l’expression de la vie. Au demeurant, nous sommes bien éloigné d’engager M. Raphaël Collin à imiter M. Puvis de Chavannes. Après son exposition de cette année, le jeune artiste n’a plus qu’à s’imiter lui-même.

Evohé! Bacché ! Evia! Écoutez les syrinx, les tambourins, les doubles flûtes et les cymbales. Voici Bacchus qui passe avec son cortège de panisques et de centaures, de mimallones nues et de ménades échevelées. C’est M. Bouguereau qui mène la bacchanale. Cette scène tumultueuse, effrénée, convient-elle aussi bien qu’une danse de nymphes ou un groupe de figures allégoriques au talent correct et délicat de M. Bouguereau? La question s’impose quand on reconnaît qu’en dépit de la multitude des bras levés en l’air et des flexions gracieuses et hardies de certaines figures de femmes, l’emportement, le feu, la fureur bachique manquent à ce tableau. Le mouvement même serait-il exprimé dans la composition et dans les gestes que l’exécution tranquille de M. Bouguereau lui ôterait son effet. Il faudrait ici le pinceau de Rubens ou de Jordaens, ou sans demander tant, celui de M. Roll. — Malheureusement pour nous et pour lui, M. Roll est séduit par d’autres sujets, où ses dons du mouvement et de la couleur ne lui servent de rien : les Portraits de Rouhaix, cimentier, et de Marianne, crieuse de vert! — Pourquoi aussi M. Bouguereau donne-t-il à tous les corps d’hommes, sans exception, le même ton brun enseigné aux élèves de l’École des beaux-arts, et à tous les corps de femmes les carnations blanches et roses des peintures sur porcelaine? Il suffit d’avoir passé quelques heures sur la plage de Trouville ou tout simplement aux bains du Pont-Royal, selon le judicieux conseil de Stendhal à un néophyte en critique d’art, pour savoir qu’il n’y a pas d’uniforme pour les carnations de l’homme. Il en est de même chez les modèles féminins ; chaque individu a sa coloration particulière. Pourquoi encore M. Bouguereau ne s’inquiète-t-il pas davantage des localités? L’écorce rugueuse des arbres, le satin des chairs, le frisson des feuilles, le pelage rude