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amour et de veiller elle-même sur le salut d’une vie si précieuse, peut-être d’une âme si chère. La reine brûlait de s’attacher aux pas de son époux : ce vœu, qu’elle n’osait exprimer, se lisait dans ses regards. « Je pris la liberté de lui demander, écrit le duc de Luynes, si elle ne désirait pas d’aller sur la frontière ; elle me dit qu’elle le souhaitait extrêmement : « Cela étant, madame, lui dis-je, pourquoi Votre Majesté ne le dit-elle pas au roi ? » Elle me parut embarrassée d’avoir à parler au roi et croire en même temps que le roi serait embarrassé de l’écouter et encore plus de lui répondre. Enfin elle ne trouva pas d’autre expédient que de lui écrire. Jeudi matin, effectivement, après avoir été quelque temps avec le roi et étant au moment de s’en aller, elle lui remit elle-même sa lettre, mais avec beaucoup d’embarras, et s’en alla immédiatement après. Je n’ai point vu cette lettre, mais j’ai ouï dire qu’elle lui offrait de le suivre sur la frontière de quelle manière il voudrait et qu’elle ne lui demandait pas de réponse. Vraisemblablement, ce dernier article sera le seul qui lui sera accordé[1]. »

L’habile courtisan se trompait pourtant ; le roi répondit, mais évasivement, en alléguant pour motif de son refus cette crainte de l’excès de la dépense qu’on avait opposée au vœu de sa maîtresse. Puis il prit la parole plus nettement pour répondre sur un ton à la fois paternel et royal à un désir pareil exprimé par le jeune dauphin, qui, bien qu’à peine âgé de quinze ans, briguait l’honneur d’aller au feu. « Pourquoi n’irais-je pas ? disait le noble adolescent ; le petit Montalban y va bien, qui est petit et faible, et moi je suis grand et fort. — Je loue votre désir, lui dit le roi ; mais votre personne est trop chère à l’état pour l’exposer avant que la succession à la couronne soit assurée par votre mariage… Quand vous aurez des enfans, je vous promets que je ne ferai jamais la guerre sans vous : mais je souhaite de n’être jamais dans le cas de tenir cette parole. Comme je ne fais la guerre que pour assurer à mon peuple une paix solide et durable, si Dieu bénit mes intentions je sacrifierai tout pour lui procurer cet avantage tout le reste de mon règne[2]. » Enfin il écrivait d’autre manière encore et plus tendrement à son ancienne gouvernante, la duchesse de Ventadour, qui l’aimait d’une affection maternelle, ce billet dont le style enfantin ne manquait pas de grâce : « Ma chère maman, j’ai omis à mon départ pour vous l’adoucir de mon mieux à vous apprendre que c’est avec grand plaisir que je vous accorde ce que vous me demandez pour votre

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. V, p. 303.
  2. Emmanuel de Broglie, le Fils de Louis XV, p. 54. — Mémoires du duc de Luynes, t. VI, P. 235.