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sous leurs lois les deux rives du cours inférieur du Rhin, c’était à leur connivence qu’était dû le passage inopiné du fleuve par le prince Charles et l’invasion du territoire français qui en était la suite.

J’ai déjà eu plus d’une fois l’occasion de décrire dans quel état d’alarmes et d’incertitude avaient vécu, depuis le commencement de la guerre, à Trêves, à Mayence, à Cologne, les archevêques électeurs placés entre les puissances rivales, comme entre l’enclume et le marteau, et partagés entre la crainte que leur inspirait leur puissant voisin de France et leur sympathie invétérée pour l’apostolique maison d’Autriche. Belle-Isle, au jour de son entrée triomphale, avait profité du premier de ces sentimens. Marie-Thérèse, depuis nos défaites, rentrait en pleine jouissance et possession de l’autre. A leur penchant naturel pour la pieuse princesse se joignaient, chez ces fidèles serviteurs de l’église, une méfiance trop bien justifiée contre le prince philosophe qui s’était emparé sans scrupule d’une province catholique, et le remords d’avoir indirectement, par leur vote dans l’élection impériale, contribué à son succès. Les victoires inespérées de l’Autriche étaient attribuées par eux à l’intervention de la main divine. « On voit bien que ce n’est point en vain, disait l’électeur de Trêves au résident français, que Dieu est appelé dans l’Écriture le Dieu des armées, et c’est de lui, et non de vos arrangemens diplomatiques, que la paix pourra venir. »

Ce n’était pas la moins étrange conséquence de ces scrupules de conscience que de rapprocher ceux qui les éprouvaient de la protestante Angleterre et de leur faire accepter, et même rechercher, les subsides d’un parlement où le papisme était en horreur. Telle était pourtant la complexité de la situation créée par le mélange des intérêts religieux et politiques en Allemagne que, dès la fin d’avril, plusieurs traités étaient secrètement intervenus entre le cabinet anglais et les princes évêques, en particulier ceux de Cologne et de Mayence, en vertu desquels le concours de leur petit contingent militaire et la libre entrée de leurs états étaient assurés à la ligue austro-anglaise, moyennant le paiement de sommes considérables prélevées sur le trésor britannique. Ces arrangemens devaient rester ignorés jusqu’au jour où ils pourraient être mis à exécution sans trop de péril pour les personnes ou les possessions des prélats, et la raison d’état mettant, à ce qu’il paraît, leur conscience à l’aise sur le devoir chrétien de la sincérité, aucun d’eux ne faisait difficulté d’opposer aux questions qui pouvaient leur être faites à cet égard les dénégations les plus formelles. — « L’électeur m’a juré hier, écrivait l’agent français à Trêves, qu’il n’avait aucune connaissance du traité survenu entre l’Angleterre et les évêques de Mayence et de Cologne, il me l’a juré au moment où il venait de recevoir le bon Dieu. » — Le ministre français à Francfort, Blondel, envoyé tout