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que si Frédéric, par égard pour une opinion nationale déjà très en éveil, reculait devant le fâcheux effet moral de la signature de la France insérée dans une convention entre princes allemands, il n’éprouvait du moins pas plus de scrupule que d’hésitation à en infliger à ses compatriotes toutes les conséquences matérielles sous la forme des maux inséparables d’une invasion à main armée. S’il eût tenu en quelque manière à les ménager, il aurait peut-être pu se contenter de l’appui indirect que lui aurait prêté une attaque dirigée par la France contre les alliés étrangers ou les possessions non allemandes de l’Autriche. Mais, loin de là, l’entrée des bataillons français, tambour battant et mèche allumée, sur le territoire allemand, c’est cela même dont il faisait le point capital et presque la condition sine qua non de la nouvelle alliance. Même après l’affaire conclue, il ne perdait pas cet objectif de vue, et il ne songeait qu’à faire par avance le plan de campagne de l’armée envahissante, qu’il chargea Rottenbourg d’aller porter à Lille; il allait même jusqu’à désigner d’avance, pour l’exécuter, le général le plus à son gré.

Un visiteur de distinction, qui vint le trouver à Pyrmont deux jours après la signature du traité, le trouva tout entier livré à cette préoccupation. C’était un officier supérieur français dont le nom a déjà figuré dans ce récit, l’ancien maréchal-général-des-logis de l’armée de Prague, Mortagne, un des fidèles de Belle-Isle, qui, n’ayant pu s’entendre avec son successeur, s’était fait attacher, en qualité de général auxiliaire, à l’état-major de Charles VII. Dépêché de Francfort en mission temporaire au camp royal, Mortagne, à son retour, ne crut pas pouvoir passer auprès de Pyrmont, où Frédéric achevait sa cure, sans venir saluer le protecteur de son ami. Frédéric, craignant sans doute qu’un entretien confidentiel avec un officier qui venait de quitter Louis XV ne trahît le mystère qu’il tenait à garder encore, ne le reçut pas en audience publique, mais lui donna rendez-vous dans un bois voisin de la petite cité thermale, où il vint le trouver à cheval, sans escorte. L’entretien prit tout de suite une telle tournure que Mortagne n’eut rien de plus pressé que d’en écrire le soir même à Metz pour en donner avis à Belle-Isle. Le roi, disait-il, se croit certain de pouvoir enlever Prague par surprise, mais il voudrait être sûr que, si le prince Charles revient l’y chercher, les Français se mettront à ses trousses pour le poursuivre. « Il est inquiet qu’on ne le laisse et qu’on ne fasse la paix sans lui quand il aura levé le bouclier. Mais, après cela, il se rassure sur la parole du roi, qu’il compte sacrée, comme la sienne le sera aussi... Il m’a beaucoup demandé si le roi paraissait prendre goût à la guerre et quel était l’esprit de l’armée. Je lui ai dit là-dessus tout ce qu’il y avait à dire et lui ai rappelé ce