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prétend que, pour mieux témoigner son affection et sa reconnaissance, Frédéric ordonna en même temps à Rottenbourg de lui envoyer une copie du meilleur portrait qu’il pût trouver de la belle duchesse, ce que l’adroit négociateur eut bien soin de ne pas laisser ignorer à l’original[1].

Dans ces dispositions soudainement devenues plus faciles, tout marcha rapidement, et les difficultés encore subsistantes furent résolues sans peine. Aucune n’avait été élevée, on l’a vu, ni de la part de la France sur l’extension de territoire réclamée par Frédéric en Bohême, ni de la part de Frédéric sur l’accroissement proportionnel que la France prétendait cette fois obtenir dans les Pays-Bas. Les deux souverains échangèrent donc sans discussion l’engagement de ne pas poser les armes avant de s’être réciproquement assuré ces avantages. Mais sur le point qui coûtait le plus à l’un et auquel l’autre attachait au contraire le plus de prix, — l’envoi d’une nouvelle armée française en Allemagne, — on se contenta des deux côtés d’un moyen terme. Frédéric exigea toujours la promesse, mais se résigna à en ajourner l’exécution. Il consentit à attendre le résultat des opérations militaires engagées à la fois et sur la frontière d’Alsace et en Flandre, et ce ne fut que dans le cas, où, comme il y avait lieu de l’espérer, l’armée autrichienne aurait été contrainte à évacuer les bords du Rhin et l’armée anglaise à se replier sur le Hanovre que la France s’engagea, au lieu de les laisser se retirer l’une et l’autre en liberté, à les poursuivre, l’épée dans les reins, jusque dans le cœur de l’empire. En revanche, rien ne put décider Frédéric à se mettre en mouvement avant la date qu’il avait fixée (les derniers jours d’août) et jusque-là il exigea que la nouvelle alliance fût tenue rigoureusement secrète. Cette précaution avait bien encore une apparence un peu suspecte, et des malveillans obstinés auraient pu voir dans ce retard et dans ce mystère l’intention de se tenir encore sur la réserve, jusqu’à ce que la France eût fait la première épreuve de sa fortune : mais le temps des défiances était passé, et le 5 juin, moins d’une semaine après la capitulation de Menin, les signatures étaient échangées, à Paris, entre Tencin et Rottenbourg. C’était, à deux ans de distance, l’anniversaire, jour pour jour, du premier traité qui avait suivi l’occupation de la Silésie, et que la France avait si douloureusement exécuté à Prague, pendant que Frédéric le violait si cavalièrement à Breslau. Si cette coïncidence revint à la mémoire des plénipotentiaires au moment où ils posaient la plume, le Prussien peut-être dut sourire, pendant qu’un nuage passait sur le visage du Français.

  1. Frédéric à Louis XV. — Au maréchal de Noailles et à la duchesse de Châteauroux, 12 mai 1744. — (Pol. Corr., t. III, p. 128, 131.)