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déjà faite de tous les griefs que la patrie germanique avait à venger depuis tant de siècles sur l’ennemi d’outre-Rhin[1].

Si rien n’ébranlait cette fermeté voisine de la présomption, tout au moins pouvait-on penser qu’attaquée comme elle se voyait déjà dans ses possessions flamandes et menacée en même temps dans sa conquête récente de la Bavière, la prudence lui commanderait de suspendre tout projet agressif pour consacrer toutes ses forces au soin de sa propre défense. C’était l’avis de ses principaux conseillers; c’était aussi la demande instante de l’Angleterre, qui, la voyant si satisfaite de la reprise des hostilités, en profita pour lui demander sur-le-champ l’envoi d’un corps de quarante mille hommes dans les Pays-Bas, afin de défendre de ce côté l’entrée de l’Allemagne et, le cas échéant, de barrer la route du Hanovre. Une telle force ne pouvait évidemment être rendue disponible qu’en la détachant de l’armée qui campait en vue de l’Alsace, et en abandonnant, par là même, toute pensée d’envahissement et de conquête de ce côté. Ce changement de plan de campagne, très raisonnable en lui-même, paraissait devoir être d’autant mieux reçu à Vienne que la reine, en mariant récemment sa sœur, l’archiduchesse Marianne, au prince Charles de Lorraine, avait donné aux jeunes époux, en cadeau de noces, le gouvernement de toutes les Flandres autrichiennes. On connaissait sa tendresse pour les siens et la puissance des sentimens de famille sur son cœur : du moment qu’elle envoyait la jeune princesse à Bruxelles, on devait supposer qu’elle lui assurait les moyens d’y vivre et d’y régner quelques jours au moins en sécurité. Comment imaginer qu’elle l’y laisserait isolée avec une force insuffisante et qu’elle lui enlèverait son époux dans les premiers momens du bonheur conjugal pour l’envoyer à plus de cinquante lieues de distance commander la principale, la véritable armée de l’Autriche? Ce fut cependant le parti qu’elle prit. Le prince Charles eut l’ordre exprès, aussitôt après avoir établi sa femme dans la capitale de la Flandre, de lui en remettre le gouvernement et d’aller lui-même reprendre le commandement du corps d’armée qui, franchissant le Rhin dans son cours supérieur, avait pour mission de rendre l’Alsace à l’Allemagne et la Lorraine à ses anciens maîtres[2].

Ce ne fut point le compte de l’Angleterre, où, à l’inverse de ce qui se passait à Vienne, le désappointement, exploité par les partis en lutte, tourna promptement à un complet désarroi. A la vérité, la menace de l’invasion française et l’apparition inattendue du jeune

  1. D’Arneth, t. II, p. 546.
  2. D’Arneth, t. II, p. 285. — Robinson à Carteret, 17 avril 1744. (Correspondance de Vienne. — Record Office.) — Coxe, Pelham Papers, t. I, p. 455. — L’Angleterre insista, au dire de Coxe, pour que le prince Charles eût le commandement en chef de toutes les troupes réunies, blended in one mass; elle ne put l’obtenir.