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avec le roi de Prusse, de lui donner tout de suite satisfaction sur tous les points qui ne souffraient point de difficultés, mais d’engager l’action, sans attendre son concours, dans tous les lieux où on pourrait s’en passer. Je ne sais si ce fut Mme de Châteauroux qui lui donna ce conseil généreux, et s’il le suivit pour lui plaire ; mais, en tout cas, l’inspiration était heureuse, comme le sont toujours les partis de hardiesse dans les momens critiques : une résolution virile était la meilleure manière de répondre aux méfiances toujours amèrement exprimées par Frédéric sur le courage des Français. Dans l’état d’inquiétude, en effet, où l’on voyait ce prince, et avec sa résolution très évidente de ne pas laisser le sort de la guerre se décider sans son concours, il était clair qu’une fois la France de nouveau en campagne, bon gré mal gré, victorieuse ou vaincue, il faudrait bien qu’il lui vînt en aide, soit pour partager ses avantages, soit pour ne pas laisser consommer, avec sa défaite, le triomphe de ses propres ennemis. Agir sans lui, ou du moins avant lui, au point où l’on en était, c’était donc à peu près, à coup sûr, l’entraîner et le compromettre. Frédéric lui-même, d’ailleurs, paraissait plus d’une fois avoir prévu et désiré cette manière audacieuse de brusquer les événemens, car, à plusieurs reprises, causant avec Valori des divers incidens qui retardaient la négociation, il lui était arrivé de s’écrier : « Mais, pour Dieu ! montrez donc quelque vigueur. Faites quelque action d’éclat. »

Un branle-bas général fut en conséquence immédiatement donné. Dans la première quinzaine d’août, le prince de Conti franchit les Alpes et la déclaration de guerre fut expédiée à Vienne : le roi annonça, pour les derniers jours du mois, son départ pour la Flandre et son entrée dans les Pays-Bas à la tête de son armée. Il n’y eut que le projet de débarquement en Angleterre qui dut être abandonné, parce que, le secret en ayant été éventé trop tôt, le succès, qui dépendait de la surprise, se trouva tout de suite absolument compromis. Une escadre anglaise, commandée par l’amiral Norris, se présentant devant Dunkerque, vint rendre le passage impossible, et il fallut renoncer pour le moment à l’entreprise, ce qu’on fit d’autant plus facilement qu’on apprenait en même temps le mauvais effet qu’elle produisait en Allemagne.

Le passage de si longues hésitations à une si vigoureuse impulsion ne s’opéra pas sans résistance et sans déchirement dans le conseil. Les vieux compagnons de Fleury en étaient tout étourdis et murmuraient presque tout haut. Maurepas, en particulier, ne pouvant contenir son humeur railleuse, insinuait à l’oreille que ce beau feu royal pourrait bien s’amortir à l’approche du péril. « Est-il sûr que le roi soit si brave ? disait-il. On assure qu’il veut emmener